Judo aux JO – Un journal olympique 2024 – J2/8

Dimanche 28 juillet – Celles et ceux qui donnent le la

 

JudoAKD#013 – Est-ce le fruit d’une époque inquiète de tout et surtout d’elle-même ? D’un calendrier quadriennal qui rend fébrile le jour J à force d’avoir été autant préparé, annoncé, réseaux-sociaux-isé ? De ces huit saisons non-stop, cette olympiade de cinq ans avec son bonus confinement et la suivante en trois ans traversée en un claquement de doigts (strappés, les doigts) ? Jamais sans doute l’acmé lacrymal que constituent les Jeux olympiques ne semble avoir versé autant de litres que sur ces deux premières journées à l’Arena Champ-de-Mars.

 

 

La catégorie des -52 kg, ce dimanche 28 juillet, en est un bel exemple. Comment garder les yeux secs à l’issue de ces places de trois où l’Italienne Odette Giuffrida réconforte longuement la Brésilienne Larissa Pimenta qui, les joues ruisselantes, vient pourtant de l’éjecter du podium olympique pour la première fois en trois participations ? Comment rester de marbre face aux larmes de rage de la Hongroise Réka Pupp, cinquième pour la énième fois, comme en mai aux mondiaux d’Abou Dhabi, comme en novembre aux Europe de Montpellier, comme il y a un an aux mondiaux de Doha ou comme en 2021 aux JO de Tokyo, et celles de sa vainqueure, la Française Amandine Buchard, qui voulait davantage mais s’était trop auto-arbitrée pour espérer mieux que ce sixième bronze planétaire en dix ans, dont cinq en six ans dans une catégorie qui porte quasiment son nom en équipe de France tant elle en a fait son pré carré depuis qu’elle y a posé le pied ? Et que dire de l’inattendue gagnante, pourtant numéro un mondiale, l’Ouzbèke Diyora Keldiyorova, 26 ans, donnée battue sur le papier en finale face à la tenante du titre olympique des -48 kg, la Kosovare Distria Krasniqi, comme elle était annoncée emballée-pesée en demies face à la Française Amandine Buchard et, surtout, comme elle était déclarée inexistante par principe en huitièmes face à l’archi-favorite, la Japonaise Uta Abe ? Elle les aligna une à une comme au ball-trap et elle aussi, à sa descente de tapis comme sur le podium, se mit à lâcher les grandes eaux.

 

Uta Abe et son entraîneur Yukihide Hirano, ce 28 juillet 2024 à Paris. ©Gabi Juan – EJU/JudoAKD

 

De la détresse de la Japonaise, tout a été dit, ou presque. Sa quasi-invincibilité de naissance l’avait-elle conduite à prendre de trop haut les enjeux de la ranking list, au point de ne pas mesurer le danger que pouvait représenter le fait d’hériter de la tout de même numéro un mondiale si tôt dans son tableau ? Chapeau à son entraîneur, l’ancien -60 kg Yukihide Hirano, qui resta au soutien le temps qu’il fallut pour accompagner ce moment de brisure d’une intensité extrême.

Un mot sur cette fonction d’entraîneur. Pour le grand public, ils apparaissent une fois tous les quatre ans, fagotés comme des as de pique et semblant réduits à porter le tote bag, les sandales et la bouteille d’eau de ces protégé(e) dont ils épousent la foulée, le port de tête et la mine préoccupée. Dans la vraie vie, l’habit ne fait pas le moine : ce sont bien eux qui donnent le la. Les meilleurs d’entre eux suscitent même des vocations. Ils font le tour de la question puis tendent le relai à ceux qui brûlent de transmettre à leur tour un peu de ce qu’ils ont compris en chemin. Ils sont une voix, une épaule, une présence. Il est parfois rude d’apprendre que nombre d’entre eux voient leur avenir immédiat directement indexé sur les résultats de leurs protégé(e)s. Et que l’automne post-JO est souvent lourd d’inquiétudes quant à leur avenir professionnel. Malgré les états de service. Malgré les plébiscites en interne. Malgré leur volonté, souvent, de penser large et de s’inscrire dans un temps long. En novembre 2023, le CCCF (Collectif des championnes et champions français) avait interpelé le Président de la République sur la question des droits à la retraite des personnes ayant mouillé le maillot pour la patrie comme le sont celles qui ont ce statut-là. Un sujet qui touche aussi les entraîneurs, un poste et une profession exposés s’il en est.

Du côté des masculins, sale journée pour l’Israélien Baruch Shmailov, opposé coup sur coup à deux combattants marocain et tadjik refusant de lui serrer la main en fin de combat. Le Français Walide Khyar, lui, termine cinquième, « à la hauteur de l’événement mais pas de [ses] ambitions ». Son judo à bras-le-corps se heurte aux esquives reptiliennes du Moldave Denis Vieru, sans entraîneur pour porter son tote bag, lui – et le coacher depuis la chaise, accessoirement -, mais sec comme une planche à découper et toujours fidèle aux conseils de son mentor Viaceslav Bacal, ainsi qu’il nous les avait confiés il y a quelques années : « Déplace-toi comme un serpent. Ondule jusqu’à ton adversaire et mords-le au moment où il s’y attend le moins ». Seul le frangin Hifumi Abe parvient à le dompter, en demi-finale. À cette occasion comme en finale ensuite contre le Brésilien Wilian Lima, le -66 japonais montre que chaque millimètre d’un corps fuselé participe de l’action qui mène à l’impact décisif. Depuis l’œil qui capte l’ouverture et la transmet au cerveau qui actionne un ensemble allant des muscles du petit orteil jusqu’à la rotation de la nuque et aux manches empoignées comme un guidon de BMX. À défaut de faire systématiquement plat-dos, ça tombe souvent sur le flanc. Par les temps qui courent, un flanc c’est un flanc. Et deux flancs, c’est un billet pour le tour suivant. – Anthony Diao. Photo d’ouverture : Gabi Juan – EJU/JudoAKD.

 

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