Kevin Cao – La parole aux silences

Né le 20 mai 1989 à Paris XIIIe, ce journaliste du quotidien Le Populaire du Centre vit à Limoges depuis ses cinq ans. Respecté pour sa couverture à hauteur d’âmes du sport local, il a la particularité de mettre en lumière avec constance deux angles morts du judo français : la province et le handicap. Avec le recul que lui confère la distance kilométrique par rapport au centralisme légendaire du sport tricolore, son approche du métier a quelque chose d’intensément martial. Excellente occasion de lui laisser l’espace pour la raconter. – JudoAKD#005.

 

Une version en anglais de cet entretien est en ligne ici.

 

Comment en es-tu venu à couvrir le judo pour la presse quotidienne régionale ?

J’ai commencé en septembre 2008 au service des Sports du Populaire du Centre, en tant que pigiste. J’avais 19 ans. Comme je le raconte dans Une flamme pour sortir de l’ombre, le livre co-écrit avec Cyril Jonard qui sort ce printemps, l’un des premiers évènements que j’ai couverts pour le journal de la Haute-Vienne, c’était les championnats de zones de judo, une compétition interrégionale qualificative pour les championnats de France. Je débarquais dans un milieu que je ne connaissais pas et c’est ce jour-là que j’ai découvert Cyril. Ou plutôt c’est une scène qui m’a permis de situer le niveau de détermination de ce sociétaire de l’AJL (Alliance Judo Limoges).

Que s’est-il passé ?

Lors d’un combat, Cyril s’est blessé – une fracture ou une plaie ouverte, je ne me souviens plus exactement. C’était suffisamment grave pour nécessiter l’intervention des secours. Or il refusait catégoriquement de sortir du tapis. Selon lui, il était inconcevable de perdre ou de renoncer, d’abandonner tout simplement. Il voulait « continuer ». Il n’avait « pas mal ». Il allait gagner. Cet acte de bravoure m’a étonné et impressionné. Pour les personnes présentes au bord des tapis, c’était « normal« . « C’est Cyril Jonard« , se contentaient-elles de dire… C’est comme ça que tout a démarré.

Quel avait été ton parcours avant ça ?

Lorsque j’ai commencé mes premiers reportages pour Le Populaire du Centre, j’étais étudiant à l’IUT Techniques de commercialisation de Limoges. Comme j’étais passionné par le journalisme en général et le journalisme sportif en particulier – raconter des histoires sur sa passion, la belle affaire ! -, je me suis réorienté avec pour but de passer les concours qui me rapprocheraient de cette profession. J’ai donc obtenu une Licence Information-communication option Journalisme à Bordeaux, puis un Master Sciences politiques à Montpellier. On m’a alors proposé un CDI au Populaire du Centre.

As-tu toi-même pratiqué un ou plusieurs des sports que tu couvres ?

J’ai d’abord effectué plusieurs années de football. Puis j’ai fait du cyclisme à l’adolescence. Pour l’anecdote, c’est en proposant des articles sur le vélo que mon aventure avec Le Populaire du Centre a débuté. Quant au judo, pour assurer au mieux le suivi, j’ai fait quelques années de pratique avec à la clef une ceinture verte.

Kevin Cao entre Aubin Doh et Adil Fikri, premier entraînement à 25 ans en mai 2014 au pôle Espoirs de Limoges – ©DR/JudoAKD

À combien d’exemplaires tire ton journal ?

Le Popu tire à plus d’une vingtaine de milliers d’exemplaires quotidiens mais c’était plus du double lorsque j’ai commencé.

Quelle place y occupait le judo à ton arrivée ?

Le judo avait la place qu’il a habituellement en PQR (Presse quotidienne régionale).  Il y avait deux sortes d’articles, comme aujourd’hui d’ailleurs : ceux envoyés par les clubs afin de parler de leur vie locale (résultats des licenciés, annonces de ceintures noires, compétitions organisées par le club, etc.) et ceux réalisés par les journalistes de la rédaction sur des résultats de compétition d’envergure nationale. C’était surtout par à-coups même s’il y avait, déjà, de bons résultats avec les frères Fikri, Mathieu Thorel ou encore Thierry Fabre.

Comment as-tu fait évoluer cette approche ?

À mon arrivée, j’ai souhaité prendre en main cette rubrique avec un suivi plus poussé des compétiteurs qualifiés aux championnats de France première division, mais aussi de l’AJL sur les compétitions par équipes. Cette volonté d’accentuer les efforts sur l’actualité judo tombait plutôt bien : c’est au milieu des années 2010 qu’une certaine Fanny-Estelle Posvite a fait son entrée sur la scène internationale et que, dans son sillage, son club de l’AJL a brillé lors des compétitions par équipes. Mieux : ses coéquipières ont également performé sur la scène nationale. Je pense à Audrey Thorel, Véronique Mandeng, Laury Posvite, Ambre Saba, Eloïse Combeau… Je dois aussi préciser que mes chefs successifs m’ont laissé de la latitude pour couvrir le judo. J’ai pu en écrire beaucoup, par périodes. Peut-être trop ? À mon sens en tout cas, ces résultats et ces parcours méritaient qu’on narre ces belles histoires.

Tu as écrit quelques papiers très forts au fil des ans : les états d’âme de Fanny Posvite, la couverture de certaines coupes d’Europe des clubs… Quel est ton Top 3 ?

Difficile de décerner un Top 3, surtout lorsque cela concerne notre propre travail. Par contre on peut distinguer trois catégories de papiers forts et/ou marquants. Il y a d’abord, comme tu l’as dit, les confidences de Fanny Posvite. Lors des premières années, Fanny était une adolescente timide, qui se confiait peu. Une dizaine d’années plus tard c’est une femme qui a subi de nombreux coups durs – d’ailleurs, il faudrait peut-être en faire un livre… -, qui incarne à la perfection le mot résilience et qui, désormais, parle à cœur ouvert. À plusieurs reprises, elle s’est longuement confiée, en toute transparence, sur les périodes compliquées de sa carrière, notamment lorsqu’elle n’était pas sélectionnée aux championnats du monde alors qu’elle figurait parmi les meilleures mondiales, mais aussi sur les difficultés inhérentes à son statut de n°2 ou de n°3 de sa catégorie : manque de considération, manque de sponsoring, etc. Ça reste tout de même une fille qui s’est qualifiée trois fois pour les JO en 2016, 2021 et 2024 mais sans jamais avoir pu y participer du fait d’une concurrence nationale très forte avec des filles comme Gévrise Emane en -70 kg en 2016 puis Audrey Tcheuméo et Madeleine Malonga depuis sa montée début 2019 en -78 kg.

Quels ont été tes articles les plus lus ?

En nombre de vues, mon dernier en date sur Fanny Posvite, toujours qualifiée mais jamais sélectionnée pour les Jeux Olympiques, a fait 12 000 vues. Le record est détenu par Cyril Jonard lors de son dernier titre mondial : 61 000 vues. Cette statistique, énorme pour un article de sport sur Le Populaire.fr, a d’ailleurs été un indicateur pour démarrer le projet du livre. Il y avait un vrai intérêt pour ce titre qui attirait l’oeil : À 46 ans, Cyril Jonard (Alliance Judo Limoges) égale Teddy Riner en décrochant son dixième titre de champion du monde.

Tu as aussi accompagné l’AJL en déplacement sur plusieurs coupes d’Europe des clubs… 

Oui, c’est la deuxième catégorie d’articles. Ce sont les récits que j’appelle embedded – j’avais d’ailleurs appris ce mot en te lisant après notre première rencontre.  Ce sont effectivement ceux que j’ai pu ramener des compétitions européennes par équipes de l’AJL. À Paris, à Samara en Russie ou à Tbilissi en Géorgie. J’étais au cœur de l’équipe, parmi eux, comme si j’étais l’un des leurs. Il en reste, même une dizaine d’années plus tard, des souvenirs gravés à vie… Je me souviens que pour Paris et Samara, on avait fait une double page dans le journal pour relater, jour après jour, heure après heure, la compétition. Je ne sais pas si beaucoup de clubs ont bénéficié d’une telle couverture à l’échelon local…

Tu évoquais aussi une troisième catégorie…

Oui, car j’ai en tête les pages portraits que j’ai réalisées au sujet des acteurs du judo limousin. L’idée de ces portraits n’était pas de parler de judokas mais d’hommes et de femmes. Le portrait de Patrick Lacombe « ce bâtisseur d’exception« , qui a beaucoup fait pour le judo régional, ou d’Adil Fikri, après la médaille européenne obtenue en Géorgie, sont également des pages que je garde précieusement dans ma boîte à souvenirs.

L’ancien champion du monde Loïc Pietri parlait un jour en entretien du jacobinisme du judo français. Est-ce quelque chose que tu constates toi aussi, en presse locale ?

Je trouve que c’est une très belle expression, qui est totalement vraie pour le judo français. Il suffit d’interroger les jeunes au pôle Espoirs de Limoges : tous rêvent de pôle France pour intégrer, à terme, l’IJ mais surtout l’INSEP. Tous sont formatés avec l’idée qu’il faut monter à Paris pour réussir.  L’histoire démontre en effet qu’il est difficile de réussir en dehors du giron fédéral et que tous les gros clubs sont concentrés en région parisienne. Loïc Pietri a donc raison : c’est Paris ou mourir. Par contre, j’ai apprécié qu’au cours de la dernière décennie des clubs de province prouvent qu’on peut réussir avec des filles nées et formées localement. En ce sens, l’histoire de l’AJL était belle : avec ses filles nées, formées et licenciées en Limousin, le club a conquis la France puis l’Europe. Pas sûr qu’on revoit ça de sitôt !

Une Flamme pour sortir de l’ombre, 2024 – ©DR/JudoAKD

Tu sors ce printemps Une Flamme pour sortir de l’ombre, ton second livre sur Cyril Jonard, dix ans après Un Combat de chaque instant. Tu sembles avoir un profond respect pour le champion mais aussi pour la personne. Comment ça s’est noué ?

Comment définir ma relation avec Cyril ? Hors des périodes d’écriture, on se voit plusieurs fois par an et c’est toujours un plaisir. Nous sommes comme deux enfants qui ne se sont jamais quittés, à enchaîner des blagues de gamins et converser sur des sujets multiples, comme si on se voyait tous les jours. Cyril est un champion d’exception. Il est surtout une belle personne, généreuse, joviale, solaire. J’ai donc beaucoup d’estime, d’admiration et de respect pour lui. Pour contrebalancer tous ces compliments, je précise par ailleurs que c’est une brute [Sourire]. Nous avons fait plusieurs séances de judo ensemble et à chaque fois, il m’a broyé sans pitié. Je ne sais pas s’il mesure sa force ou s’il y prend juste un plaisir sadique [Rires].

Qu’y avait-il à dire dans ce second livre qui n’avait pas été dit dans le premier ?

L’idée de ce second livre est née en novembre 2022 lorsque Cyril est devenu champion du monde IBSA pour la énième fois. À 46 ans, il grimpait sur le toit du monde alors que quelques années plus tôt, non sélectionné pour les Jeux Paralympiques de Tokyo, absent des podiums en para-judo, sa carrière semblait à son crépuscule… Mais, à l’image de sa vie, il est revenu de nulle part pour aller à l’encontre des pronostics. Il faut quand même imaginer qu’à sa naissance on avait promis l’enfer à ses parents parce qu’il était sourd et qu’il allait devenir aveugle. Cyril a enduré mille maux et surmonté des centaines d’obstacles. Il est tombé mille fois mais a toujours trouvé la force de se relever… Dix ans après Un combat de chaque instant, l’idée était de raconter les dix dernières années de sa vie. Celles où il s’est battu pour obtenir un métier pérenne, où il a construit une magnifique famille en s’occupant au quotidien de ses enfants malgré ses handicaps – c’est un vrai papa poule. Celles aussi où il a, malheureusement, perdu la vue, et où il a fait face à de nombreux échecs au judo (7e des Jeux paralympiques de Rio en 2016). En fait, nous avons davantage parlé de l’homme que du judoka. C’est une leçon de vie riche d’enseignements pour chacun – judoka ou pas judoka, d’ailleurs.

Tu écris aussi sur le vélo. Et tu écris même… à vélo. D’où t’est venu ce concept d’interview en pédalant côte à côte ?

Je n’ai rien inventé. Cela a déjà été fait et cela continuera à se faire. En quête de formats originaux tant sur le fond que sur la forme, je réfléchissais à de nouveaux articles pour la rentrée 2021. J’ai alors proposé l’idée de faire des interviews à vélo avec les cyclistes régionaux. Le concept ? Leur proposer une balade à vélo et retranscrire leurs propos dans le journal. J’ai été très étonné du rendu : la plupart se sont confiés comme jamais ils ne l’avaient fait auparavant. Le premier par exemple, David Menut, est un garçon timide qu’on suit depuis ses premiers tours de roues depuis une quinzaine d’années. En deux heures, il s’est davantage ouvert que lors de dizaines d’interviews formelles réalisées avec un dictaphone ou un bloc-notes. Ce format a cassé des barrières.

Comment procèdes-tu ?

Il n’y a pas de questions fermées ni de dictaphone. Je retiens les idées générales de tête, sur le principe d’une discussion ouverte. En 2022, nous avons poursuivi la rubrique sous forme de « J’ai couru avec… », toujours avec des athlètes régionaux. Enfin, en 2023, à l’occasion du passage du Tour de France dans la zone de diffusion du groupe Centre France, nous avons diffusé cette rubrique dans tous les journaux du groupe, sur deux pages, avec des cyclistes professionnels connus, qu’ils soient en activité comme Guillaume Martin, Rémi Cavagna ou Warren Barguil, ou de coureurs à la retraite comme Pierre Rolland, Thomas Voeckler ou Sylvain Chavanel.

J’imagine que tu as ton lot d’anecdotes à raconter…

J’ai failli faire tomber une cycliste internationale : je pensais qu’il fallait tourner à droite alors qu’on restait sur la même route. On s’est touchés mais, je ne sais pas comment, personne n’est tombé. Il y a aussi cette fois où un athlète m’a fait tellement grimper en courant que j’ai fini à pied, avec un point de côté. Ou encore les « off » de Thomas Voeckler alors que nous ne nous connaissions pas… Cette rubrique demeure un super souvenir car elle m’a permis de découvrir mes interlocuteurs de manière différente. La règle était simple : on allait chez eux, sur leurs routes d’entraînement. Dans ce contexte, en sécurité et en confiance, beaucoup ont donné des informations qu’ils n’auraient pas divulguées lors d’entretiens plus formels.

Tu me vois arriver : as-tu essayé de transposer ces concepts sur tes entretiens avec des judokas ?

J’ai effectivement voulu faire un « J’ai combattu avec… » Cela a été le cas avec Fanny Posvite mais avec quatre boîtes en deux minutes on n’a pas eu le temps de parler [Rires]. Et de manière plus sérieuse et officielle, je voulais transposer ce concept avec des judokas de l’équipe de France féminine olympique. Mais faute de timing et de disponibilités, cela ne devrait pas se faire…

Le 19 décembre 2015, les filles de l’Alliance Judo Limoges terminent troisièmes des Championnats d’Europe des clubs à Tbilissi (Géorgie) – ©Kevin Cao/JudoAKD

Tu évoques la liberté que t’ont laissé tes rédacteurs en chef successifs pour développer tes sujets. Qu’est-ce qui selon toi fait que tu as pu obtenir cette marge de manœuvre ?

Il y avait surtout de belles histoires à raconter et des résultats internationaux à mettre en avant. Comme nous l’avons déjà évoqué précédemment, il y a aussi cette fierté d’un territoire et d’un journal qui n’hésite pas à valoriser des temps forts qui méritent d’être à la Une.

Tu parlais du journalisme embedded. Avec le temps, des liens se nouent, forcément. Comment parviens-tu à conserver la juste distance avec tes sujets ?

Très bonne question… J’ai l’image d’un fil sur lequel tu marches et duquel tu ne dois pas tomber, d’un côté comme de l’autre. Il y a, comme tu le soulignes, des liens qui se créent au fil des ans. Ils permettent une relation plus fluide et, souvent, davantage de confidences. Mais, on ne doit jamais oublier que notre rôle est de donner une information brute et factuelle. Nous sommes là lors des titres et des médailles mais nous le sommes également lors des compétitions ratées. Nous ne sommes pas des supporters et nous devons également analyser lorsque cela ne marche pas. Être juste, c’est ce qui permet, à mon sens, d’entretenir ces liens entre journalistes et sportifs. Pour finir sur ce sujet, j’ai dit qu’on devait écrire sur les bons et sur les mauvais moments. À titre personnel, j’essaie aussi d’entretenir le lien avec certain(e)s lorsqu’ils ne sont plus en compétition : retraite, blessures, période compliquée, etc.

Pour prolonger ce que tu dis sur le tropisme parisien du judo français. Quel rôle peut jouer et joue déjà la presse locale pour rééquilibrer cela ?

Cela n’engage que moi mais j’ai l’impression que la presse nationale – je pense surtout à L’Equipe – ne parle pas assez de judo de manière générale. Il existe peu de magazines spécialisés à part L’Esprit du judo et je me suis retrouvé bien démuni lorsque j’ai voulu m’intéresser, il y a plus d’une décennie, à cette discipline. C’est un premier constat. Fort de cette analyse, on peut donc avancer que la presse nationale ne s’intéresse pas assez au local. En fait, on a tendance à parler des têtes d’affiche comme Teddy Riner ou Clarisse Agbegnegnou plutôt que des autres qui ont parfois un ancrage local fort. Il y a donc peu de reportages sur le judo de province. Peut-être qu’il ne le mérite pas ? Peut-être qu’il est trop loin ? Loin de moi l’idée d’opposer la presse nationale à la presse locale ou Paris à la province. Mais oui, on peut dire qu’on essaie de rééquilibrer cela en en faisant beaucoup sur nos compétiteurs locaux, comme Fanny Posvite chez nous. Sans cela, malheureusement, ces champions n’existent pas, ou très peu, au niveau de la presse nationale. Et c’est bien regrettable.

Tu évoques l’importance qu’a eu Cyril Jonard dans ton parcours. Toute fausse modestie mise à part, quelle importance as-tu, toi, pu avoir sur la carrière d’un Cyril ou d’une Fanny par exemple ? Est-ce que certains de tes papiers, à défaut d’être des game changers, ont pu aider à faire bouger les lignes, d’une manière ou d’une autre ?

J’aime bien tes questions. Je ne sais pas si un journaliste devrait dire ça mais j’aurais aimé que les entretiens avec Fanny Posvite parlant de son statut de n°2 et de son manque de considération de la part de la Fédération française de judo fassent bouger les lignes. Ils ont fait parler, ils ont été lus, ils ont été partagés mais, dans le fond, ils n’ont rien changé pour elle.

Est-ce à dire que Le Populaire du Centre est peu audible lorsqu’il se positionne ?

Ce n’est pas si certain. Laisse-moi te raconter une anecdote qui est aussi un contre-exemple et donc une petite victoire. Un jour, mon collègue de France Bleu Limousin réalise une série en cinq épisodes sur Cyril Jonard avant les Jeux paralympiques. Il y a quelques mois, j’ai fait un tweet en relayant un de ses articles et en soulignant qu’en tant que para judoka, Cyril ne gagnait rien lors des compétitions et qu’il devait composer avec des moyens dérisoires par rapport aux valides. Cela a interpellé un entrepreneur local qui a décidé de le sponsoriser. Ce n’est pas grand-chose mais, à notre échelle, c’est une petite victoire. Et ça m’a fait plaisir pour Cyril qui a souvent manqué de reconnaissance et de moyens au cours de sa carrière.

À l’heure où la profession est chamboulée par les enjeux du numérique et de l’intelligence artificielle, quels conseils donnerais-tu à un jeune journaliste de 19 ans qui, loin de Paris et de l’INSEP, a envie de raconter le sport en général et le judo en particulier ?

Je le répète souvent : c’est la passion qui guide tout, ainsi que le travail et l’envie. Tu as dû entendre mille fois ce discours avec des championnes et des champions : la volonté permet d’aller loin. Je pense que c’est aussi le cas dans le cadre de notre métier. J’ai toujours été animé par la soif de découvrir, d’avancer et de partager. Jamais je n’aurais pensé écrire des livres sur un judoka ou encore suivre une équipe en déplacement en Géorgie ou en Russie… J’ai essayé de faire le nécessaire pour que ces magnifiques opportunités deviennent des réalités, et elles le sont devenues. C’est bateau comme phrase et réponse mais c’est parfois en ne se fixant aucune limite qu’on finit par les dépasser… Après, cela ne tombe pas tout seul. Les choses incroyables, encore faut-il aller les chercher. – Propos recueillis par Anthony Diao, printemps 2024. Photo d’ouverture ©Thomas Jouhannaud/Le Populaire du Centre.

 

Une version en anglais de cet entretien est en ligne ici.

Bonus – Extrait de la page 76 de Une Flamme pour sortir de l’ombre de Cyril Jonard et Kevin Cao (2024)

« On naît, on vit, on meurt. Ainsi va le cycle de l’existence. Quelques mois avant d’être emporté subitement par une crise cardiaque sur la plage, mon père a profité des premiers jours, des premiers mois, d’Athéna. Ma fille est ma raison de vivre. Mon bonheur quotidien. Mon rayon de soleil. J’avais peur qu’elle souffre du syndrome d’Usher, comme moi. Or, elle entend tout, elle voit tout. Elle rayonne tout simplement. Beaucoup se demandent si je m’en occupe et comment je fais pour l’élever. Qu’on soit clair : je suis un papa poule. Il est hors de question pour moi d’avoir un enfant pour ne pas s’en occuper. Je l’accompagne ainsi dans chacune de ses activités : à l’école tous les jours, au sport plusieurs fois par semaine, en ville pour nous promener. Nous avons construit notre propre langage. Elle me comprend, je la comprends. On échange, on parle, on rigole. Devenir père est l’une des plus belles choses qu’il me soit arrivé. Ses « papa » que je parviens à entendre me réchauffent le cœur. Ses câlins sont un carburant d’une valeur inestimable. Et si je ne vois pas son visage, je devine ses sourires et je l’imagine la plus belle du monde. »

 

 

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