Judo aux JO – Un journal olympique 2024 – J1/8

Samedi 27 juillet – Planchette japonaise, asymétries émotives et ténacité kazakhstanaise

 

 

JudoAKD#012 – Une femme qui m’est très proche, orpheline de mère à neuf ans, de père à quinze et de grands-parents à seize, m’a confié un jour un de ces secrets qui changent la vie. Ce secret tient en une phrase : pour elle la Fête des mères a toujours été une journée douloureuse.
Cet aveu est de ceux qui ouvrent les yeux sur nos propres carences en empathie. Il reste en tête dans les moments excessifs. La fête est un excès. Un chouette excès pour ceux qui y sont conviés. Un excès moins chouette pour ceux dont ce n’est pas le cas, par choix mais parfois pas. Comme peut l’être une journée comme celle de la Fête des mères pour une enfant qui vient de perdre la sienne. Les Jeux olympiques sont une fête. Une fête vécue comme le Graal pour les happy few qui l’atteignent. Un moment plus équivoque pour ceux qui n’en sont pas. Une Fête des mères pour orphelins, avec ceci de différent que le statut d’orphelin est, cette fois, la norme pour la majorité. Un ratio à garder en tête froide.

Vendredi 26 juillet. La cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024 est un déluge au propre comme au figuré. Un déluge de pluie, comme un trait d’union mystique avec celle qui s’abattit du ciel de Moscou un soir de juillet 2018 lorsqu’une équipe de France masculine en liesse souleva la deuxième Coupe du monde de football de son histoire. Un déluge d’images, de sons et de détails aussi, qui fait crépiter le WhatsApp de messages venus des quatre coins de la planète. Avec des nuances allant, relativisme culturel oblige, de l’enthousiasme à la circonspection selon les sensibilités et les curseurs des uns des autres. Le jet de fleurs des Algériens dans la Seine en écho à celui d’Algériens dans le même fleuve mais sans fleurs le 17 octobre 1961 a été remarqué. La gaffe du speaker confondant Corée du Sud et du Nord aussi. L’ampleur du défi relevé et l’allumage symbolique de la vasque par deux Guadeloupéens itou, a fortiori au sortir de la récente séquence électorale. Le nombre important de judokas porte-drapeau, également. Et cette précaution langagière nouvelle venue des hauts-parleurs : « Si vous le pouvez, levez-vous pour l’hymne national de... » Tout est dans le « si vous le pouvez ».

 

L’émotion au sortir du tapis de Natsumi Tsunoda, championne olympique 2024 des -48 kg ce 27 juillet 2024 à Paris. ©Gabi Juan – EJU/JudoAKD

 

Samedi 27 juillet, jour anniversaire entre autres des palmarès XXL que sont Gévrise Emane ou Hidayat Heydarov, le tout premier combat de la journée se charge de rappeler que même si les JO se veulent une bulle et une trêve face aux agitations du monde, il n’y a en réalité guère besoin de gratter longtemps pour que ces dernières se rappellent à notre bon souvenir. Sur la chaise de coach de la -48 chinoise Zongying Guo, l’ex-60 russe Robert Mshvidobadze, dont les anciens coéquipiers ont fait le choix à contrecœur de boycotter un rendez-vous qui leur avait bien fait comprendre qu’il ne voulait pas d’eux. En face de son athlète, l’Américaine Maria-Célia Laborde, médaillée mondiale il y a dix ans sous ses couleurs natales de Cuba et venue renouer le fil d’un destin contrarié par un exil qui lui valut huit années loin des tapis. À une semaine de ses 34 ans, sa joie intérieure en sortant de ce premier tour victorieux valait toutes les médailles d’or du monde.

Des détails, il y en eut plein ce samedi inaugural, à commencer par le patch circulaire posé sur la tempe gauche de la Japonaise Natsumi Tsunoda, experte ès-tomoe nage et première championne olympique nippone en -48 kg depuis sa glorieuse aînée Ryoko Tamura-Tani en 2004. Décontractée en apparence lorsqu’elle s’approche du tapis pour la finale comme si elle allait boire un coup avec une copine, celle qui boucle à 31 ans une olympiade immaculée en grands championnats – trois titres mondiaux et le titre olympique en quatre apparitions -va attendre le podium pour craquer et c’était déchirant (cf. ci-dessus). Il y a aussi les larmes inattendues et irrépressibles de Quino Ruiz, entraîneur comblé ces dernières années par les résultats de deux de ses masculins (le -60 Fran Garrigos et le -100 Nikoloz Sherazadashvili, quinze médailles mondiales et continentales jusqu’ici à eux deux) après la qualification pour les demi-finales de sa protégée Laura Martinez Abelenda. Il y a le caractère bien trempé de la Suédoise Tara Babulfath, « à deux doigts de tarter l’arbitre » comme l’écrit le camarade Guillaume Gendron dans Libé, et la dignité aux yeux humides de son père au moment de leur longue accolade finale. Le gainage physique et mental du Français Luka Mkheidze, aussi, œil noir et imperméabilité à la pression du moment sur 98 % de sa journée. Il y a aussi le serment tenu par son vainqueur, le Kazakhstanais Yeldos Smetov au corps déjà bien impacté par une longue et rude carrière (cf. ci-dessous). Au printemps 2020, en plein confinement et alors qu’il avait marqué son époque par un titre mondial en 2015 devant son public à Astana puis, l’année suivante à Rio, lors d’une finale olympique d’une classe folle en tango avec le Russe Beslan Mudranov, il avait déclaré au collègue Oon Yeoh : « Pour moi, seul l’or est acceptable. J’ai fait le serment que, sans médaille d’or olympique, je n’arrêterai pas ma carrière de compétiteur. Si je dois pour cela continuer à combattre jusqu’à mes quarante ans, je le ferais. » Dont acte. Premier d’entre tous à se parer de son drapeau national pour entamer son tour d’honneur, le désormais triple médaillé olympique se le fit presque arracher par deux officielles zélées. Un geste qui rappelle la porosité fragile de ce huis-clos sportif avec le reste de la fureur du monde. Derrière le podium, du reste, dans l’axe précis précis de la caméra principale, un drapeau palestinien fut brandi à bout de bras par un spectateur.

En sortie de tapis, la ronde des étreintes méritées des médaillé(e)s de ce samedi – Shirine Boukli et son clan en tête – avec leurs proches occasionna quelques plans furtifs du réalisateur sur leurs battu(e)s du jour. Le décalage immédiat d’émotions rappela une discussion le mois dernier en terrasse en Espagne avec Carlos Montero. L’expérimenté entraîneur espagnol avait, le temps d’un café en bord de mer, mis des mots sur l’insondable douleur qu’avaient pu provoquer en lui les échecs charnières de deux de ses athlètes : la non-qualification de Cécilia Blanco pour les Jeux de Pékin en 2008 après un mano-à-mano de plusieurs années avec sa compatriote Leire Iglesias puis, huit ans plus tard aux Jeux de Rio, la cinquième place de la -70 Maria Bernabeu. « Une douleur terrible et muette au fond de l’estomac, tu ne peux pas t’imaginer… » Y penser dans les moments heureux, comme pour la petite fille du début lors de la Fête des mères. Au bout des enjeux de victoires et de défaites, il reste une recherche commune d’équilibre. – Anthony Diao.

 

Bonus J1/8 – Pour les anglophones, Oon Yeoh s’est fendu dans son live blog d’une analyse très intéressante de l’imbroglio arbitral du jour en -60 kg entre les deux futurs médaillés de bronze, l’Espagnol Garrigos et le Japonais Nagayama qui, par une cruelle ironie du sort, se retrouvèrent donc côte à côte sur le podium en fin de journée.

 

 

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