Judo aux JO – Un journal olympique 2024 – J7/8

Vendredi 2 août – Judo, entends tes judokas

 

 

JudoAKD#018 – Toma Nikiforov est un judoka belge de 31 ans. Nous nous connaissons depuis ses 16 ans. Nous avons fait randori ensemble à Lyon, à Paris ou en Russie… jusqu’au stage autrichien de Mittersill où, en route quelques semaines plus tard pour le premier de ses deux titres européens à ce jour, celui qui était alors déjà double médaillé mondial m’avait gentiment fait comprendre que j’étais devenu son « randori détente ». Une allusion au passage du temps qui rend chaque jour un peu moins muraille face aux saisies viriles d’un profil comme le sien. Rien de grave en soi puisque nous avons appris à nous connaître et à nous apprécier sur d’autres registres.
Jeudi à Paris, Toma Nikiforov disputait ses troisièmes JO. Battu au deuxième tour à Rio comme à Tokyo, devenu père de famille entretemps, le -100 de Schaerbeek nourrissait de grands espoirs malgré une fin d’olympiade en demi-teinte – zéro podium international depuis sa victoire au Grand Chelem de Paris en février 2022. Une éternité pour un tempérament bouillant comme le sien. Jeudi à Paris, donc, il se fait sortir d’entrée par le Kazakhstanais Nurlykhan Sharkhan. Aux pénalités. Avec, comme le Serbe Nemanja Majdov la veille en -90 kg,  l’impression désagréable de ne pas avoir eu le temps de dire ouf. Rapporté aux milliers d’heures d’entraînement et aux sacrifices personnels qui constituent la partie immergée de l’iceberg, le ratio est rude… Alors Toma Nikiforov s’est présenté en zone mixte face au confrère de la RTBF. Entraîné depuis l’été 2023 par le Néerlandais Mark Van Der Ham (qui a eu la douleur cet hiver de perdre son mentor Chris de Korte), le -100 kg a exprimé ce qu’il avait sur le cœur, se faisant le porte-voix d’une majorité silencieuse qui va crescendo sur le circuit et dans les clubs. Tout ceci est dit avec une sincérité et une franchise désarmantes. Il faut prendre le temps de l’écouter.

 

 

L’entrée en lice des catégories lourdes ce vendredi a coïncidé avec la hausse des vibrations ressenties depuis les abords de la structure surélevée où est posé le tatami de l’Arena Champ-de-Mars. Les combats du matin ont tourné sèchement deux des plus respectées pages d’histoire de ce sport, celles écrites à cheval sur trois décennies par le Tchèque Lukas Krpalek, invaincu aux JO depuis douze ans mais qui dut maudire ses choix de ranking l’ayant mis si tôt sur la route du séquoia japonais Tatsuru Saito, et celles écrites par la Cubaine Idalys Ortiz, dominée par la Serbe Milica Zabic. Cette dernière nous déclarait il y a quelques semaines, en préparation d’un reportage paru jeudi dans Libération, l’importance « de rester concentrée et patiente » face à un profil comme celui de la quadruple médaillée olympique, lequel impliquait « de consacrer davantage d’énergie au déplacement qu’à la technique » – dont acte. Reverrons-nous le judo féminin cubain aux altitudes des années Ronaldo-Ortiz ? Il y a fort à craindre que non, et ce sont plusieurs mètres carrés du tatami de l’histoire du judo mondial qu’emporte avec elle la native de Pinar del Rio.

Battue par cette dernière en demi-finale des JO de Tokyo, la Française Romane Dicko devait a priori être à l’abri cette fois de cette erreur de jeunesse. Elle qui n’avait plus connu l’échec depuis sa glissade aux mondiaux de Doha en mai 2023 – et la reprise en main fédérale qui s’en était suivie de son système de préparation physique – avait tous les voyants au vert… sauf un : celui d’apporter à l’équipe féminine française sa première – et donc unique – médaille d’or sur ces JO démarrés sur les chapeaux de roues (quatre médailles en quatre jours) puis subitement à l’arrêt (deux échecs prématurés). Las, c’était sans compter  en demi-finales sur la sculpturale Brésilienne Béatriz Souza et sa coach Sarah Menezes, déjà aux manettes dimanche lors du bronze de la -52 Larissa Pimenta. Bien campée sur ses longs segments, précise en diable sur le placement de ses mains, la n°5 mondiale, qui restait pourtant sur quatre échecs face à la Française, faisait d’abord douter cette dernière en imposant son non-tempo de force tranquille, puis réalisait l’impensable au golden score en l’enroulant au sol puis en la contrôlant d’un hon-gesa-gatame des familles. « Lourde est la couronne, écrivait Shakespeare. D’autant plus quand elle est virtuelle » surine le camarade Guillaume Gendron le soir-même dans Libé. Un bronze plus tard, récupéré avec la même diligence que Teddy Riner avait récupéré le sien en 2008 à Pékin après s’être laissé endormir en quarts de finale par l’Ouzbek Abdullo Tangriev, la n°1 mondiale avait toute la mélancolie du monde au fond des yeux au moment d’entendre l’hymne brésilien sur le podium. Deux olympiades de suite à se découvrir cigale après s’être longtemps crue fourmi, le réveil est brutal mais il fait partie du chemin : la légende japonaise Ryoko Tamura-Tani n’a-t-elle pas perdu ses deux premières finales olympiques avant de gagner les deux suivantes, puis d’accrocher un ultime bronze à son retour de maternité ? Ce 2 août 2024 est peut-être l’an I de la Romane II.

Les cycles, Teddy Riner sait ce que c’est. Il a connu le cycle Découverte, de ses débuts à son échec fondateur de septembre 2010 à Tokyo. Puis il y eut le cycle Intouchable, jusqu’à son dixième titre mondial en 2017 à Marrakech. Le congé sabbatique qui s’ensuivit et la sérieuse remise en jambes qu’il dut s’infliger à son retour augura le cycle Poussif, qui dura jusqu’aux Jeux de Tokyo et cette troisième place individuelle pas vraiment prévue sur le plan de carrière. Une piqûre d’humanité qui servit de coup d’envoi au cycle Caterpillar, dont Paris 2024 restera le point d’orgue. Dans cette configuration, pas de salamaleks. Les adversaires sont des cases à cocher sur une feuille de route qui ne les regarde pas – d’où le rappel au savoir-vivre du Russe naturalisé émirati Magomedar Magomedomarov, qui le retint par la manche en mode bonhomme au moment du salut final d’un air de dire « ça serait trop te demander de me regarder dans les yeux quand tu t’inclines ? » Un agacement comme un avant-goût de ce qui attendait l’homme aux onze titres mondiaux au tour suivant face au Géorgien Guram Tushishvili, sept ans après leur mémorable premier affrontement  en demi-finale des championnats du monde 2017 à Budapest.

 

 

Rien à ajouter sur tout ce qui a pu être dit et écrit sur l’épilogue à haut voltage du dernier quart-de-finale de la matinée. Il suffit cependant de regarder de près la magnifique photo saisie par Denis Allard pour comprendre toute la complexité de ce qui se joue en une projection, un échange de regards et ce sourire en mode « cheh » qui ne peut pas ne pas faire dégoupiller celui qu’un ami à très justement surnommé l’Éric Cantona du Caucase. Mal en a pris à ce dernier : le voici privé de repêchages, de par équipes et sans doute davantage. S’agissant du Français, plus le temps de niaiser, il propose un menu entrée-plat (dos)-dessert au Tadjik Rakhimov en demies, puis un tour complet à bord de la Riner Airlines au champion du monde coréen Minjong Kim, numéro un du reste du monde, en l’absence des Russes Tasoev et Bashaev, face au désormais triple champion olympique individuel… Un sacre qui clôt de la plus belle des façons sept jours qui feront date pour l’équipe de France masculine, longtemps décriée et qui voit validés in situ les caps radicaux initiés à l’automne 2022 par Stéphane Nomis et Baptiste Leroy, ainsi que le rappelle Le Parisien dans son édition du 1er août.

La cérémonie protocolaire s’avère ensuite un festival d’obligations et d’étreintes. Une sorte de cour du Roi mêlant pêle-mêle et dans le désordre le Président de la République et ses ministres des Sports et de la Culture, la compagne du champion, ses enfants, son père, Lilian Thuram, les dirigeants du PSG Nasser al-Khelaïfi et Djamel Bouras, David Douillet, Marie-José Pérec, Omar Sy, Jean-Pascal Zadi, Thomas Pesquet, Tony Parker… Et de nous revenir en mémoire cette citation de l’entraîneur cubain Ronaldo Veitía (1947-2022) dans laquelle Teddy Riner avait avoué se reconnaître totalement en amorce d’un portrait de milieu d’olympiade pour Libé. La citation disait : « Le seul moment de repos du guerrier, c’est le temps du combat. » Spectateurs ébahis de cette marée humaine tricolore, Kim Minjong, Temur Rakhimov et l’Ouzbek Alisher Yusupov, les trois autres médaillés du jour, ne peuvent qu’acquiescer. – Anthony Diao. Photo d’ouverture :  Tamara Kulumbegashvili – IJF/JudoAKD.

 

 

 

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