Mercredi 31 juillet – L’œil vif
JudoAKD#016 – Il faudrait presque se pincer pour se souvenir qu’il y a quelques jours encore les tensions politiques en France semblaient à leur comble. Qu’avant la séquence des élections européennes puis législatives un conflit avec la Russie semblait presque devenu inéluctable. Et puis tout semble avoir soudain été balayé. Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter ? Nul besoin de relire nos vieux cours de latin pour se rappeler le rôle du pain et des jeux dans le maintien de la paix sociale. Quelle part jouons-nous, nous journalistes, dans l’élaboration docile de cet assoupissement collectif ? L’intensité que nous mettons sur une échéance comme les JO nous permettra-t-elle de conserver l’œil vif au moment où ceux-ci s’achèveront et où d’autres profil d’athlètes, tout aussi bien préparés, reviendront à leur tour aux affaires ?… À moins que ce ne soient finalement ces instants-là qui se rapprochent le plus de l’authentique expérience de la vie vécue ?
De paix sociale, il en est de plus en plus question lorsque certaines nations s’affrontent. Ce mercredi à l’Arena Champ-de-Mars, un drôle de pas de deux a eu lieu de bon matin à la fin d’un combat en -70 kg. Celui-ci oppose l’Israélienne Maya Gohsen, 23e mondiale, à la Turque Fidan Ogel, 28e. Alors que l’Israélienne, déclarée vainqueure par l’arbitre, s’incline et s’avance pour serrer la main de sa partenaire, celle-ci recule et fait mine de sortir sans faire ce pas vers l’autre qu’impose en général cette règle non-écrite d’un judo engagé certes, mais courtois. Et puis la Turque se ravise. C’est elle cette fois qui fait un pas en avant vers sa rivale. Cette dernière, ayant intériorisé un énième refus de serrage de main, venait pour sa part d’interrompre sa marche vers l’autre pour faire marche arrière. Voyant la Turque revenir vers elle, elle interrompt son pas vers l’arrière pour repartir de l’avant vers sa rivale. Mais cette dernière (on dirait du Raymond Devos), étant déjà revenue sur sa décision initiale et voyant que l’Israélienne elle-même avait commencé à battre en retraite, n’a d’autre choix que d’interrompre son propre pas en avant pour repartir vers l’arrière… dans la seconde-même où l’Israélienne réenclenchait la marche avant. Analysant sans doute l’absurdité de ce tango à mi-distance, Ogel se décide alors à battre en retraite pour de bon et à en rester là. Ni une, ni deux, Gohsen prend cette fois la décision d’acter pour de bon la poignée de mains. Elle traverse le tapis d’un pas ferme, en sort même côté Ogel, ne laissant pas à la Turque d’autre choix que de lui serrer la louche. Ce que fait cette dernière… Tout ça se déroule sur quatre ou cinq petites secondes mais vient rappeler que le judo de haut niveau n’est pas un monde sous serre. Il est lui aussi rattrapé à son échelle par des nœuds venus de l’extérieur qui, à défaut d’être résolus, sont susceptibles de resurgir à tout moment.
Belle médaille de bronze du Français Maxime-Gaël Ngayap Hambou en -90 kg. Sa victoire surprise sur le (déjà) champion olympique géorgien Lasha Bekauri en février 2023 au Grand Chelem de Paris, puis sa troisième place cette année au même Grand Chelem, tout cela dit une constance dans la progression. Un point de règlement lui permet ensuite d’être déclaré vainqueur de son combat pour le bronze face au Brésilien Rafael Macedo au moment précis où celui-ci venait de le projeter puis d’être sur le point de l’immobiliser au sol. Ainsi va le judo contemporain, qui décuple le soulagement du bénéficiaire de ces notules de bas de page et alimente la frustration de celui qui reste sur le carreau – a fortiori dans une salle en pleine communion patriotique. Ces deux-là pourraient se retrouver par équipes samedi et ce serait très instructif d’observer qui, de la rage de convaincre et de la « pulsion ressentimiste » chère à la philosophe Cynthia Fleury, triompherait lors de ces retrouvailles. Le Géorgien Bekauri, lui, conserve son titre. Ses puissants corps-à-corps offrent une alternative saisissante à la garde décalée et aux attaques chaloupées du Japonais Sanshiro Murao. Le sosie de James Coburn jeune n’est pourtant pas homme à baisser la tête, lui qui avait dominé il y a deux ans les 170 kg de son compatriote Tatsuru Saito lors d’un championnat national universitaire (cf. ci-dessous). Cela n’aura pas suffi cette fois.
Double trou d’air en revanche pour Marie-Ève Gahié. La Française termine septième dans une catégorie des -70 kg qui, à l’instar des -63 kg la veille, consacre six Européennes aux sept premières places. La victoire revient à la méticuleuse Croate Barbara Matic, repérée dès 2012, alors qu’elle n’était que ceinture marron, pour avoir donné du fil à retordre à la future championne olympique Lucie Décosse lors d’un ultime tournoi de préparation en Roumanie à quelques semaines des Jeux de Londres qui consacrèrent la Française. La période du confinement semble avoir régénéré Matic : « seulement » triple médaillée européenne avant 2020, elle a remporté depuis deux autres breloques continentales (dont le titre cette année à domicile), deux titres mondiaux et le titre olympique… Belle médaille de bronze également pour la Belge Gabriella Willems. Douloureusement privée des Jeux de Tokyo en 2021 en raison d’une opération des ligaments croisés pour une blessure survenue (face à Barbara Matic !) à trois mois de l’échéance, elle s’offre à 27 ans une douce revanche sur la vie. – Anthony Diao. Photo d’ouverture ©Gabi Juan – EJU/JudoAKD.
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