22 septembre 2023 – Grand Chelem de Bakou. « C’est un Grand Chelem comme un autre mais qui doit me lancer véritablement dans la course olympique. L’objectif est clair dans ma tête : aller chercher la médaille. Montrer que je suis là, pas loin derrière et qu’il ne faut pas m’oublier. Car, évidemment, ce qui est également très clair pour moi, c’est que je suis en retard à cet instant. Luka Mkheidze est médaillé olympique tandis que moi je sors des juniors. J’ai certes fait quelques médailles sur le circuit IJF et une bonne fin de saison l’année passée [médaille d’or au Grand Prix d’Autriche puis d’argent au Grand Chelem de Mongolie, NDLR] mais, de mon point de vue, tout reste à prouver sur cette compétition de rentrée. Très paradoxalement, si j’ai très envie, je me sens plutôt détendu et c’est plein de sérénité que j’aborde cette échéance… Malgré une compétition plus que compliquée et une journée ou je suis loin de mon meilleur judo, je réussis tout de même à aller chercher une médaille de bronze en battant trois ex ou actuels champions du monde : le Kazakhstanais Yeldos Smetov, champion du monde 2015, 2e aux JO 2016 et 3e aux JO 2021 [et futur champion olympique le 27 juillet 2024 à Paris, NDLR], l’Espagnol Fran Garrigos, champion du monde 2023 [puis 3e aux JO 2024, NDLR] et le Géorgien Lukhumi Chkhvimiani, champion du monde 2019. »
03 novembre 2023 – Championnats d’Europe de Montpellier. « Suite à cette médaille à Bakou, je me mets à espérer, d’autant plus que Luka a perdu au premier tour là-bas. Je me dis : ‘et pourquoi pas moi ?’… C’est dans cet état d’esprit que j’aborde ces championnats d’Europe seniors, les premiers de ma carrière. Plein d’espoirs, plein d’ambitions, la rage au ventre. Et c’est cette mentalité qui me porte tout au long de cette compétition où, malgré le peu de sensations, je réussis à décrocher une médaille de bronze. Même si je ne suis que très peu satisfait de ce que j’ai produit ce jour-là en termes techniques – et qu’une petite part de moi aurait aimé passer en demies et prendre Luka en finale -, je suis fier d’avoir réussi à aller au bout de cette compétition. Fier d’avoir réussi à écrire la première ligne de mon palmarès chez les seniors – les seules lignes qui comptent vraiment, pour moi.
S’ensuivent une petite période de deux semaines ou je suis encore dans l’euphorie. Je m’autorise rarement ce genre de relâchement, ce contentement de moi-même, mais là je me suis dit : ‘Profite !’ C’est donc ce que je fais. Avec cette médaille je pense mériter que Luka et moi soyons départagés un peu plus tard dans cette course olympique. La suite révèlera que je me trompe totalement. »
24 novembre 2023 – L’annonce. « Trois semaines ont passé depuis ma médaille européenne à Montpellier. C’est le jour de l’annonce des premiers noms sélectionnés pour les JO. À cet instant, je ne me doute pas une seconde que le nom de Luka sera donné. Pour tout te dire je suis même venu m’entraîner avant la séance comme un vendredi normal, pour faire un peu technique, et cette annonce m’est même sortie de la tête… Aussi, quand j’entends le nom de Luka, c’est un choc pour moi. Vraiment. Une déception immense, mêlée à de la frustration. Je pensais avoir fait mon maximum pour montrer que j’étais là. Visiblement ça n’a pas été suffisant.
Le week-end qui suit, je me lève puis je vais courir pour me défouler. Une phrase tourne en boucle dans ma tête : ‘je ne ferai donc pas les Jeux’ . C’est d’autant plus dur que j’avais vraiment vu cette rêverie lointaine de faire les Jeux de Paris devenir réalité. Un rêve s’effondre donc, et cette phrase qui passe et repasse dans ma tête… Ce week-end-là je perds deux kilos tellement je cours pour oublier. Je remplace ma souffrance morale par de la souffrance physique… Le fait est que je pars à Tokyo la semaine qui suit. C’est donc plein d’amertume que je m’envole vers le Japon, l’antre du judo. »
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03 décembre 2023 – Grand Chelem de Tokyo. « À ce moment-là la flamme s’est éteinte, je l’avoue. Je ne dis pas que j’aborde cette compétition sans avoir envie de la gagner – au fond de moi je reste un compétiteur, d’autant que, quand les tirages sortent, je me retrouve à prendre au premier tour le Japonais Takato, champion olympique et quadruple champion du monde. L’occasion est parfaite pour moi de leur prouver qu’ils ont tort. Cette compétition est pour moi une revanche.
Malheureusement ce jour-là je ne réussis pas à trouver les ressources nécessaires pour battre Takato. Tout grand judoka qu’il est, je ne parviens pas à lui mettre un impact suffisant et c’est donc la tête basse que je sors de ce match. Il est à peine neuf heures du matin à Tokyo et, déjà, la compétition est terminée pour moi.
Il n’y a rien de pire que de perdre. J’écris beaucoup après les compétitions, pour essayer de comprendre le pourquoi du comment. [Dans une marque de confiance rare, Romain Valadier-Picard nous laissera lire les lignes écrites à chaud après ce combat dans son carnet de bord. Il y est question de ‘placement des mains’, d’intelligence de combat, de ‘précision mentale’ et de séquences à mieux construire. Le tout avec des passages en lettres capitales pour mieux souligner cette exigence de tous les instants, NDLR]
04-15 décembre 2023 – Stage international de Tokyo. « S’ensuit le stage du Japon qui me fait énormément de bien. Je me rase la tête, aussi bien pour symboliquement repartir de zéro que pour accompagner Eliot Prévé mon futur coéquipier à l’ACBB, pour qui c’est la première fois au Japon… C’est bête mais faire ça m’aide à aller de l’avant, de la même manière que m’entraîner dur et faire du judo. Malheureusement, au premier entraînement de ce stage, je me blesse à la cheville. Rien de trop grave a priori donc je finis le stage. Il s’avère en fait que je me suis rompu le ligament tulo-fibulaire antéro inférieur… Me voici donc de retour en France. Blessé, perdant… et sans cheveux [Rires]. »
Noël. « Ces vacances me permettent de me ressourcer auprès de ma famille et de mes amis. Ces quelques jours je l’avoue me font le plus grand bien. Ils me permettent de digérer cette double défaite que furent ma non-sélection aux Jeux et mon premier tour à Tokyo. Il est important de prendre parfois un peu de recul par rapport au judo. De se remémorer que la vie ce n’est pas que le judo. Quand tu es le nez dedans ce n’est pas toujours évident de s’en rendre compte.
Nous redémarrons ensuite la saison par un stage à La Réunion. De retour de ma blessure à la cheville, je reprends tranquillement en me concentrant essentiellement sur la technique et la préparation physique. L’objectif est d’être prêt pour le Grand Chelem de Paris, le 2 Février. Étant donné que j’ai repris le 2 janvier, j’ai un mois pile pour arriver dans les meilleures conditions.
Ces quelques jours de vacances de Noël m’ont redonné le goût du judo mais surtout l’envie de gagner et de montrer que j’aurais mérité qu’ils attendent. Je n’ai pas su le prouver en décembre à Tokyo mais, dans mon esprit, je n’ai qu’une envie : me rattraper sur Paris en allant chercher la plus belle des médailles. L’objectif est aussi d’aller chercher une qualification pour les Europe et les Mondes car la place est serrée entre Cédric Revol et moi… »
02 février 2024 – Grand Chelem de Paris. « C’est donc plein de revanche – une revanche personnelle par rapport à la contre-performance de l’année passée à Paris et à celle de Tokyo deux mois plus tôt, ainsi qu’une revanche par rapport à la sélection olympique de Luka – que je me présente à mon quatrième Grand Chelem de Paris.
J’arrive en quarts de finale où, malheureusement, je m’incline face au Coréen Lee Ha-rim après cinq minutes de golden score… Me voilà donc en repêchages face à Dilshot Khalmatov, l’Ukrainien qui m’a battu aux championnats d’Europe. Moi qui suis venu avec l’esprit revanchard, je n’ai plus qu’à. Le combat va au golden score et nous nous retrouvons avec une pénalité partout. Dès le début du golden je lui mets un super ippon-ko. L’arbitre annonce ippon. Je m’exprime rarement mais cette fois-ci je laisse échapper un peu mon enthousiasme… Problème : il semble que j’ai touché la jambe de la pointe de mon épaule. Trente secondes plus tard, mon ippon se voit remplacé par un shido contre moi, la faute à cette épaule qui a effleuré sa jambe. Et me voilà mené deux shidos à un. À ce moment-là, je l’avoue, c’est un peu compliqué. J’avais gagné et je suis maintenant dans une position périlleuse. Le combat se poursuit donc et je fais une erreur. Je me jette et touche sa jambe, encore… Et c’est ainsi que se termine pour moi ce nouveau Grand Chelem. La rage au ventre, rempli de frustrations et de haine. C’est pas si simple, le judo… Il n’y a plus qu’à retourner au travail. »
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1er mars 2024 – Grand Chelem de Tashkent – « Un mois et demi plus tard l’équipe de France m’offre l’opportunité de combattre en Ouzbékistan. Il me faut absolument une médaille. En effet devant moi Luka Mkheidze brille et, derrière moi (ou devant, je ne saurais le dire…), Cédric Revol fait également une bonne saison. Si je veux faire les Europe et les Mondes, il me faut briller, montrer de quoi je suis capable.
C’est amusant, ou bien je dirais plutôt surprenant, de constater à quel point une défaite t’entraîne au fond du trou et que seul un nouvel objectif et le retour à l’entraînement te permettent de remonter à la surface. J’enchaîne donc avec cette compétition, avec cette fois une certaine pression au-dessus de ma tête liée à Cedric, à Luka mais aussi à tous ceux qui sont derrière et qui veulent aussi aller arracher leur place dans cette équipe de France. Et, pour une fois, les sensations sont au rendez-vous. Tout en relâchement, je réussis à faire une de mes meilleures compètes. Jusqu’en demies je gagne tous mes combats sur ippon en mettant de belles boîtes. Et, j’avoue, ça fait plaisir. En demies une erreur de déplacement me vaut d’être mené waza-ari face au Géorgien Sardalashvili, alors que j’ai le combat en main. Je le mets en danger sur un grand nombre d’actions mais sans jamais réussir à le faire tomber… C’est dommage car ce jour-là j’ai vraiment toutes les cartes en main pour battre n’importe qui. Je réussis ensuite à gagner ma place de trois face à Bliev, un Russe, sur un super tai otoshi. Je suis je l’avoue assez content et fier de moi ce jour-là. Même si je n’ai que la médaille de bronze, je n’ai que très rarement réussi à produire un judo aussi libéré. Il y a des jours sans mais aussi des jours avec. Celui-ci en est un. »
Mars 2024 – Stages. « S’en est suivi un stage d’une semaine en Ouzbékistan puis un autre d’une semaine au Japon, à Tenri. Quel plaisir c’est pour moi de faire du judo là-bas ! J’adore. Le judo, la culture, la société… À deux doigts d’aller y vivre [Sourire].
Une semaine après, j’apprends ma sélection pour les Europe et les Monde, respectivement un mois et demi plus tard pour les Europe et deux mois après pour les Monde. À partir de ce moment, je me dis : OK Romain, tu feras pas les Jeux mais, sait-on jamais, tu peux être champion d’Europe et champion du monde cette année. Même si ce n’est pas les Jeux, ça serait ma façon à moi, celle sur laquelle j’ai du contrôle, de marquer l’histoire du judo français.
Deux semaines avant les Europe, nous allons à Vichy pour un stage d’entraînement de dix jours. L’objectif est de faire beaucoup de combats et de judo. Avec le recul je t’avoue que je pense que je n’aurais pas dû écouter les coaches et j’aurais dû faire mon possible pour faire un peu de jus avant les Europe. Même si je suis certain que ce stage m’apporte énormément, j’en reviens fatigué et avec des sensations judo très éloignées de celles de la compète. Forcément, quand la séance prévue est un 12 x 6, il faut adapter et diminuer l’intensité. C’est vraiment super de faire ça car ça permet à tout le monde de se relâcher, de relâcher un peu les mains et de se concentrer sur le judo. Seulement je rentre plein de judo, peut-être même trop plein et avec moins d’impact que ce dont je suis capable… Le week-end avant les Europe, il faut l’avouer c’est peut-être la faute au régime, à cette fatigue accumulée et à l’enchaînement, je suis fatigué… Mais je n’arrive que très peu à m’écouter et cela me fait défaut. Moi, tu me dis de m’entraîner, je m’entraîne.
L’envie, en revanche, est présente. Toutefois, à la différence avec d’autres compètes précédentes, sur celle-ci je me sens plutôt apaisé. Cet apaisement m’avait déjà permis de sortir une de mes meilleures compètes en Ouzbékistan alors là je me dis que je vais essayer de le retrouver. C’est donc fatigué mais plein de confiance que je m’aligne sur ces championnats d’Europe. J’avais fait trois à Montpellier. Impossible de faire moins bien. Impossible de revenir avec quelque chose d’autre que la médaille d’or… »
25 avril 2024 – Championnats d’Europe de Zagreb. « Le résultat est très loin de l’or puisque je perds au premier tour. Cette défaite est assez particulière car c’est vraiment tout ce qui ne se passe jamais pour moi qui s’est passé. Une première défaite sur moulinette. Une première défaite au premier tour en championnats. Je l’admets, elle me fait mal. Le pire c’est que lorsque je perds je n’avais pas vu le shido venir. Lorsque celui-ci tombe c’est donc abasourdi que je sors du tapis et que je m’assois par terre dans un coin derrière les gradins. Je me suis fait avoir à mon propre jeu ou, du moins, à celui qui a été le mien un temps. À la différence près que je n’ai jamais recherché le shido mais plutôt à faire tomber.
De retour en France dès le lendemain matin, je prends quelques jours de vacances à Barcelone avec Olivier Ondet, mon meilleur ami, car il est nécessaire de passer vite à autre chose. Et cet autre chose, ce sont les championnats du monde d’Abou Dhabi, trois semaines plus tard… Et trois semaines, je peux t’assurer que pour préparer un championnat du monde c’est court. Alors si en plus il faut se reconstruire, c’est foutu. Je fais donc mon maximum pour ne plus penser à cette mauvaise phase, au moins jusqu’au championnat du monde… Un objectif était foiré. À moi maintenant de limiter la casse au maximum pour, au moins, faire en sorte de briller au suivant.
Je garde toutefois cette frustration en moi et, pendant ces deux semaines, elle me sert de moteur. Bien souvent je ne réalise pas que je vais perdre jusqu’au moment où je perds. C’est comme si, dans mon esprit, la défaite est impossible. Me remémorer cet événement c’est goûter à l’amertume de la défaite. Je ne suis pas un partisan de la fameuse phrase de Mandela ‘je ne perds jamais soit je gagne soit j’apprends‘, que tout le monde te sort à chaque défaite et qui m’énerve plus qu’autre chose. Mais il faut reconnaitre que perdre m’apprend et me fait grandir. Parfois l’échec peut aussi être source de motivation. »
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19 mai 2024 – Championnats du monde d’Abou Dhabi. « Mon état d’esprit à ce moment est complètement différent de celui des Europe. Aux Europe, j’étais venu apaisé, fort de mon expérience en Ouzbékistan, persuadé que calme et sérénité étaient synonymes de victoire. Aux Mondes, j’arrive plus stressé. Évidemment pas un stress à te paralyser, mais le genre de stress qui fait que, à l’entraînement, tu penses à l’événement qui arrive, constamment. Je décide de mettre beaucoup d’intensité sur mes matches. Chacun de ceux-ci doit être soit une victoire, soit un objectif atteint. Moins de combats, davantage de qualité, de combativité et d’intensité. Sous les conseils de mes coaches j’essaie d’en faire un peu moins que d’habitude… Mon objectif est clair : peu importe la manière, je veux gagner.
Au premier tour de ces championnats je rencontre un Néerlandais assez grand, gaucher et envahissant. Un match qui peut s’avérer piège pour moi vu le profil. Il faut être précis sur les mains, mobile avant la saisie, ne pas se laisser déborder. Sur le combat je réussis plutôt bien à mettre en place ces objectifs et je gagne aux shidos.
Le deuxième tour est face à l’Ouzbek Ruziev, le vainqueur du Grand Chelem de Tashkent où je fais troisième. En une séquence j’arrive à enchaîner au sol et termine le combat sur immobilisation.
Le quart-de-finale est face au Taïwanais Yang, vice-champion olympique en titre. Un combat qui s’annonce dur mais plus que passable. Je le connais bien car il est venu s’entraîner avec nous sur le récent stage de Vichy. Une grosse bagarre de mains m’attend et je le sais. Ce que je découvre en revanche c’est l’intensité qu’il met d’entrée dans le combat. Elle me vaut un shido pour sortie de tapis dès la première séquence du combat. Puis, quelques secondes plus tard, me voilà avec un deuxième shido pour non-combativité, gagné à l’expérience par Yang, toujours l’attaque qui fait ch… avant moi. S’ensuit une phase ou je suis mieux mais à laquelle Yang réagit en me sautant dessus et, sur un o-soto de loin, il parvient à me mettre un waza-ari. Plus que deux minutes pour rattraper le score. Je me précipite et, alors qu’il pose sa main au revers, je lance sode… Il se décale, se frotte le coude et, d’un coup, je prends hansoku make pour action dangereuse, synonyme de défaite mais aussi de fin de compétition…
Rarement dans ma carrière j’ai été confronté à une situation aussi frustrante. C’est vraiment terrible de finir sur une sensation d’inachevé, d’inaccomplissement. Il n’y a rien que je déteste plus que ça en ce monde… Je me souviens être sorti courir pendant une heure trente le soir, de m’être perdu dans les rues d’Abou Dabi puis de m’être arrêté, exténué, vidé de toute énergie, puis d’être rentré plein de désespoir à l’hôtel faire mes valises et rentrer le soir même en France, avec rien d’autre que ma valise et mon énervement. Dans ces moments je me questionne… Mais bon, au fond j’aime vraiment le judo. Aussi dur que soit ce sport, aussi injuste qu’il puisse parfois être, je l’aime et je ne verrais pas ma vie sans. »
Mai 2024 – Paris. « Pendant près d’une semaine je suis donc frustré, énervé, avec cette envie de tout casser et, pour couronner l’ensemble, une douleur au genou souvenir de mon premier combat – une entorse stade 2 du latéral interne tout de même… Au moins quatre semaines sans judo. Doublement frustrant. Tout va donc mal jusqu’au jour où, sortant de mon IRM, je me fais percuter devant l’INSEP par une camionnette. Cet accident, je l’avoue, me marque. Je me retrouve en effet par terre, le front en sang, et là je me dis ‘oh merde est-ce que je vais pouvoir faire encore du judo‘… À chaud, j’ai peur d’avoir bêtement perdu ce à quoi je tiens le plus. Fort heureusement je ressors quasiment indemne de cet accident, à l’exception d’une cicatrice au front qui, je pense, restera à vie. Le positif à retenir c’est qu’à partir de ce moment, je comprends que j’ai digéré ma défaite. Je suis en vie, capable de continuer le judo, de poursuivre mes objectifs et de défendre mes chances en championnat dans les années qui viennent. La vie ne tient parfois qu’à un fil, qu’à un accident bête, et tout ce que tu as mis des années à construire peut s’écrouler.
Tout ça pour dire que, depuis, je me suis donc reconstruit de tous ces échecs et désillusions. Je décide de débuter l’olympiade en partant au Japon pendant trois semaines à l’été puis, de nouveau un mois et demi en septembre et un mois et demi en novembre. Je décide également de conscientiser ma pratique en définissant mes objectifs judo dans un fichier qui va servir aussi bien pour moi que pour tenir au courant mes entraîneurs lors de mon voyage au Japon, en leur faisant des petits compte-rendus de mes séances. Je repars donc sur une nouvelle dynamique, en espérant que l’olympiade qui arrive sera la mienne et me permettra d’atteindre mes objectifs. »
Juillet 2024 – Japon. « Je pars au Japon tout seul, à mes frais, avec mon pote Driss Masson Jbilou. Nous partons trois semaines : une à Tenri, une autre à Tokyo au Kokuchikan et à Nittai Dai, puis Tsukuba jusqu’au 15 août puis Kokugakuin pour s’entraîner les 16 et 17 août. Chaque université a un peu sa particularité. À Tenri, nous faisons beaucoup de volume, entraînement quasi deux fois par jour, à base de dix randoris de six minutes minimum. L’objectif est de faire plus souple et c’est le cas là-bas où les gars font un peu moins péter. À Kokuchikan ça se bagarre davantage. On fait un peu moins de combats même si c’est quand même un modèle de 15 x 5 minutes. Nous en faisions un sur deux ou deux sur trois, ce qui en fait quand même entre neuf et douze par séance. Tsukuba c’est encore un peu différent puisqu’il y a un peu plus de séquences au sol, même si c’est 15 x 5 à peu près.
En termes d’intensité le rythme n’est effectivement pas facile. Il y a des jours où je suis cuit. Lundi matin j’ai randori, après-midi muscu, mardi deux séances randoris et mercredi deux séances de randoris… On a beau dire que les Japonais sont souples, eh bien pas tant que ça. On s’entraîne dur et avec mon pote on est assez contents. En moyenne dix à vingt randoris par jour. C’est très bon. »
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27 juillet 2024 – JO de Paris. « La journée est assez surprenante. Luka sort sa compète mais j’aurais jamais imaginé que Smetov gagnerait. Je pensais qu’il était passé. Je m’attendais à voir Luka en finale mais pas contre Smetov. Je voyais Nagayama vainqueur, Yang en finale… C’est les Jeux, il y a la tension, les enjeux. Smetov c’est un homme de championnats – et de championnats olympiques, encore plus visiblement. Nagayama a en plus perdu contre Garrigos de façon un peu controversée.
En termes d’arbitrage, les règles sont telles qu’elles sont. On est en France, forcément on est un peu avantagés. C’est toujours comme ça avec le pays hôte. Après, de mon point de vue les règles sont vraiment pas terribles en termes de shidos, de fausses attaques et de non-combativité, ça tombe un peu vite. Tu peux gagner en faisant du judo merdique. Et puis toutes les règles d’hansoku make je trouve ça un peu nul parce que ça tue des compètes. Il y a bien sûr des erreurs style l’arbitre qui dit matte trop tôt sur Garrigos-Nagayama mais sinon c’est plutôt correct.
Le jour des -60 je suis à Osaka. On était en train de visiter mais du coup on s’est arrêtés pour regarder la compète. C’est pas facile à vivre. Je suis ronchon parce que hyper déçu de ne pas y être, d’avoir loupé ce championnat mythique qui ne se reproduira pas dans ma carrière.»
Septembre 2024 – En attendant. « J’ai commencé le judo à six ans, à l’ACBB où je suis toujours. J’ai démarré avec Fernando Blazquez et Sebastian Radocvici. Au fil des âges j’ai connu Sébastien Gaisset, Stéphane Masson, Jean-Christophe Allain, puis à nouveau Fernando Blazquez. Je travaille maintenant avec Romain Poussin ainsi qu’avec Sébastien Calloud qui m’apprend beaucoup au sol et qui est aussi le préparateur physique du club.
Niveau études, je suis passé par un sport-études à Boulogne où j’ai eu un Bac S avec mention Très bien. Je suis en quatrième année à l’ESILV, une école d’ingénieur située à la Défense. J’ai effectué mes trois premières années en cursus normal et me suis spécialisé en biotech pour ma quatrième année, une année que j’ai choisi de dédoubler dans la perspective de l’année olympique. La majeure partie de mes cours, j’ai la chance que l’école me permette de les suivre en distanciel voire en replay et j’essaie de mon côté d’être présent pour les TP et les examens.
Si je pouvais donner un conseil au Romain qui attachait sa première ceinture blanche en 2008, je lui dirais travaille à fond, donne-toi à fond dans tout ce que tu fais et tu verras bien. C’était déjà ma façon de réfléchir quand j’étais jeune. Je faisais tout à fond en étant concentré… Peut-être que si je pouvais donner un conseil à ce Romain-là ce serait de profiter un peu plus de ces premières années. C’est quelque chose que je n’ai réalisé qu’au moment du covid. J’ai compris à ce moment-là que le judo ce n’est pas que être sérieux. C’est aussi une belle partie de ma vie où je peux m’amuser et passer de bons moments. Je n’irais pas jusqu’à dire que, fut un temps, aller au judo c’était comme aller au bagne. La vérité c’est que je l’ai toujours pris très au sérieux. Je n’étais pas là pour me faire des amis. Avec les années, je commence à comprendre que, parfois, tu peux progresser tout autant et être tout aussi bon en étant un peu plus ouvert d’esprit… » – Propos recueillis pas Anthony Diao, printemps-été 2024. Photo d’ouverture : ©Paco Lozano/JudoAKD.
Une version en anglais de cet article est à lire ici.
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