« Et c’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien, l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui, qui a connu les guerres, l’occupation, la barbarie… » Ces mots sont passés à la postérité le 14 février 2003, à l’occasion du discours au Conseil de sécurité de Nations unies du ministre français des Affaires étrangères de l’époque. Le débat portait sur le positionnement des États membres relativement à une intervention armée alliée contre l’Irak. Les termes ont fait date. Ils confirmaient une ligne de crète, à mi-chemin entre la fin de cinq siècles de domination occidentale et ce Commencement d’un monde dont parlait dès 2008 l’essayiste français Jean-Claude Guillebaud.
Le lien avec le judo ? Patience. « Nous vivons dans un monde où la chose la plus importante pour une personne est une autre personne » déclarait au début de cet été 2025 le Russe Inal Tasoev, double champion du monde des +100 kg. À deux reprises en deux décennies passées entre autres à parcourir et raconter la planète judo, j’ai eu la chance d’accompagner deux groupes de judokas sur des formats au long cours, pour le bimestriel français L’Esprit du judo. Le premier groupe était composé de huit judokas français, regroupés sous le nom de Judo Académie, depuis les mondiaux de Rotterdam en 2009 jusqu’aux Jeux de Londres en 2012. Ce groupe comprenait quatre féminines (Lucile Duport, Morgane Ribout, Emmanuelle Payet et Audrey Tcheuméo) et quatre masculins (Florent Urani, Ugo Legrand, Axel Clerget et Nicolas Brisson).
Les mondiaux de Rio en 2013 furent l’occasion d’amorcer un nouveau feuilleton. Onze judokas venus de onze pays différents répondirent alors présents jusqu’aux JO 2016, à Rio également. Il s’agissait côté féminines de la Française Amandine Buchard, de la Hongroise Hedvig Karakas, de l’Israélienne Yarden Gerbi, de l’Américaine Kayla Harrison et de la Cubaine Idalys Ortiz. Côté masculins, le casting comprenait le Russe Yakub Shamilov, le Sud-Africain Gidéon « Jacques » Van Zyl, le Canadien Antoine Valois-Fortier, le Brésilien Tiago Camilo, le Belge Toma Nikiforov et l’Égyptien Islam El Shehaby.
Formidables manières de prendre le pouls d’une discipline, d’une époque et d’une génération, ces deux feuilletons appelaient neuf ans plus tard un petit frère. L’olympiade qui s’ouvre et le site JudoAKD en seront cette fois l’écrin. Sept combattants et trois encadrants ont accepté de monter à bord D’Un vieux continent – un titre en référence à la phrase qui ouvre la présente introduction, et qui renvoie au pedigree 100 % européen de ce casting 2025.
Pourquoi parler depuis #UnVieuxContinent ? Parce que c’est la position la plus légitime, au moment de mettre le cap sur un Nouveau monde lui-même en pleine crise de foi. Parce que si la planète judo se décentre elle aussi peu à peu, nombre de stages et de tournois s’y déroulent encore. Raconter ce mouvement en mouvement, c’est donner la parole à des personnes appelées à être autant aux manettes de leur projet qu’aux premières loges de la tectonique des plaques du judo contemporain. Des personnes choisies aussi pour leur capacité à mettre en mots les multiples phases par lesquelles une carrière passe.
De l’été 2025 à l’été 2028 et à raison d’un épisode par trimestre correspondant aux quatre saisons du calendrier, le casting de ce feuilleton écrit au contact de celles et ceux qui l’animent comprend quatre judokas français (la -57 française Faïza Mokdar, la -63 Melkia Auchecorne, le -60 Romain Valadier-Picard et le -66 Daikii Bouba), trois étrangers (la -52 espagnole Ariane Toro Soler, le -81 italien Giacomo Gamba et le +100 finlandais Martti Puumalainen). Pour la première fois, le feuilleton ouvre aussi la porte à des personnes gravitant très près du tapis : Morgane Sellès, kiné française de l’équipe d’Azerbaïdjan, Paco Lozano, incontournable photographe espagnol du circuit, et Toma Nikiforov, néo-retraité belge dont nous avions suivi dès 2013 l’éclosion du temps de la World Judo Academy et qu’il nous est apparu cohérent d’accompagner sur ce temps souvent singulier de la reconversion vers la vie d’après. – JudoAKDRoadToLA2028#01.
Une version en anglais de cet article est disponible ici.

Romain Valadier-Picard, n°6 à la ranking des -60 kg – Pas facile d’attaquer une olympiade sous les mêmes couleurs que le n°1 mondial de la catégorie. Cette obligation de devoir passer sur le corps du métronome Luka Mkheidze, troisième aux JO de Tokyo, deuxième à ceux de Paris et champion d’Europe 2023, Romain Valadier-Picard l’a intégrée et digérée dès l’été 2024, ainsi qu’il nous le racontait à l’époque dans un long journal de bord. Revenu aux affaires pour tout défourailler, le judoka de l’ACBB va y aller méthodiquement : enchaînement de stages au Japon (« on leur simplifie trop la tâche à force de faire des complexes contre eux ; pour moi ça commence par redresser ma posture »), reprise de repères en Ouzbékistan, champion de France en novembre, vainqueur du Grand Chelem de Paris en février en dominant enfin et pour la première fois, à sa sixième tentative, un représentant du Soleil levant. Il se blesse malheureusement au stage international qui suit : rupture du ligament externe du genou droit. Comme en décembre à son retour du stage de Tokyo où il y avait laissé un doigt, il doit passer sur le billard. Trois semaines de béquilles, trois semaines de rééducation à Capbreton, de bonnes sensations au stage international de Benidorm. Il se rassure à quinze jours des mondes en remportant la Coupe d’Europe de Sarajevo. À Budapest, l’homme a la jupe la plus longue du circuit passe les tours sans trembler, profitant du retour du yuko pour remettre au goût du jour l’expression « coller un sapin de Noël » face au Hongrois Csanad Feczko – celui-là même qui avait écarté Luka Mkheidze au tour d’avant, reportant de quelques mois la grande explication fratricide qui ne devrait pas manquer d’arriver sur cette olympiade. Battu en finale par le Japonais Nagayama à la joie revancharde toute silencieuse, il déclare dans la foulée ne pas se satisfaire de cette couleur de métal, avec cette mentali-Té propre au groupe des Forces spéciales dont il est lui aussi issu : « Je veux devenir meilleur que les meilleurs et avoir mon portrait à l’Insep » (en France, les champions du monde ont le privilège de voir leur portrait affiché à vie sur les murs du dojo de l’Insep, NDLR). Trois semaines de repos actif à Paris, Toulouse, Lyon, Chambéry et… à 3 887 m au sommet du mont Fuji avec son compère Alexandre Tama, avant d’aller transpirer avec l’équipe de France à Kokushikan puis Tenri. Où il souffle ses vingt-trois bougies, le 20 juillet.

Ariane Toro Soler, n°10 à la ranking des -52 kg – C’est autour d’un café face à la mer à Alicante en juin 2024 avec l’entraîneur Carlos Montero que notre attention fut portée sur la trajectoire de cette -52 kg sans cesse sur l’attaque. « Tu devrais la garder à l’œil » nous glissa le technicien aux redoutables connaissances en ne waza, ancien entraîneur des multi-médaillées européennes et mondiales Cecilia Blanco et María Bernabeu. À la ville, Ariane est la fille de Yolanda Soler, triple championne d’Europe et médaillée en -48 kg aux Jeux d’Atlanta, et de José Tomás Toro, titulaire des -65 kg pour l’Espagne lors de ces mêmes JO états-uniens. Vice-championne d’Europe juniors à l’automne 2023, l’enfant de Pampelune débarque dans la foulée sans complexes sur le circuit sénior à la façon d’un Fabio Basile pour l’Italie deux olympiades plus tôt. Trois podiums en Grand Chelem et une médaille européenne plus tard, la voici sélectionnée pour les Jeux de Paris au nez et à la barbe d’Estrella Lopez-Shériff, son aînée de onze ans, titulaire pressentie quelques mois auparavant encore mais qui se liquéfia littéralement dans la dernière ligne droite (neuf défaites au premier tour entre novembre 2023 et avril 2024).
Si l’épreuve individuelle du 28 juillet tourne court pour la novice, cette dernière marque les esprits six jours plus tard. Lors des équipes mixtes du samedi, elle a le toupet de mener par waza-ari face à Sa Majesté Uta Abe elle-même. Certes, l’alors quadruple championne du monde nippone est encore groggy de son élimination surprise le dimanche précédent au deuxième tour de l’épreuve dont elle était la tenante du titre. À l’expérience autant qu’à l’orgueil, la petite sœur d’Hifumi finit tout de même par se sortir du guêpier – et le Japon de dompter non sans mal les valeureux Espagnols.
À nouveau sur le podium européen en avril à Podgorica, Ariane signe un début de championnats du monde tonitruant le 14 juin à Budapest. Elle domine avec la manière rien moins que l’Italienne Odette Giuffrida, double médaillée olympique et tenante du titre mondial, et la numéro deux japonaise Kisumi Omori, vainqueure cette saison du Grand Prix de Zagreb et des Grands Chelems de Tokyo et de Paris… Mais le rêve tourne court. En demies face à l’inépuisable Distria Krasniqi puis en place de trois face à la locale Roza Gyertyas, elle baisse pavillon physiquement et s’en veut encore. « C’est frustrant d’autant que je restais sur trois victoires en un an sur la Hongroise et que je sens que la Kosovare a bossé sur moi depuis que je l’ai dominée à Tbilissi l’année dernière… Je vais prendre l’été pour digérer, partir en vacances avec mes amies et profiter de cette longue période sans grosses échéances pour me préparer correctement pour la suite. » Dans le viseur de celle qui a soufflé vingt-et-une bougies le 10 juillet, un stage de trois semaines au Japon en septembre et le Grand Chelem de Tokyo en décembre.

Giacomo Gamba, n°44 mondial des -81 kg – Le -81 kg a une particularité : être né le même jour et la même année que Dilyan, le frère de Toma Nikiforov. Et puis une autre : il était présent ce soir d’août 2011 aux mondiaux de Paris où, avec la caméra de L’Esprit du judo, nous avions saisi sur le vif le retour triomphal auprès des siens de Tagir Khaybulaev, champion du monde des -100 kg quelques minutes avant. Enfin, « Jack » n’avait pas encore quinze ans lorsque, au printemps 2014, son père Ezio me fit l’honneur de partager un entraînement avec eux dans leur fief de Forza e Costanza à Brescia – où a également grandi la -78 kg Alice Bellandi, seule championne olympique de Paris à avoir réussi à doubler la mise cette année à Budapest…
La trajectoire de Jack est intéressante. L’intelligence d’approche qui s’en dégage renvoie à toute la littérature anglo-saxonne et nippone autour du développement à long terme des athlètes. « C’est ma mère qui m’a emmené au judo pour la première fois, quand j’avais six ans. Mon père, malgré son parcours, ne m’a jamais forcé à continuer. Tout était affaire selon lui de respiration, d’énergie et de vibration. C’est cela qui m’a fait préférer le judo à la natation et au basket que je pratiquais durant mon enfance. Ce qui m’a plu ? La sensation de liberté quand je combats. »
Jusqu’à ses dix-neuf ans, zéro pression. Le judo fait partie de sa vie, au même titre que l’école, les amis, la famille, les études, les leçons de musique et la chorale. C’est en 2019 que tout change, lorsqu’il rejoint Rome et les carabinieri.
Un temps dans la course pour les Jeux de Paris, il lève le pied lorsqu’il comprend que ce ne sera pas pour cette fois. Il prend du recul. Se pose des questions sur le sens de tout cela. Lorsqu’il se décide à revenir, son regard a changé. « Je travaille davantage à la salle ainsi qu’au dojo. Je veux mieux me connaître et écouter davantage mon corps et mon esprit pour faire en sorte de grandir chaque jour. »
Troisième à l’Open européen de Prague puis aux championnats du monde militaires de Tashkent, cinquième au Grand Chelem de Tokyo, il est dans le train qui le ramène chez lui le 21 décembre 2024 lorsqu’il décide de suivre sur son écran des élections à la présidence de la Fédération italienne, auxquelles son père se présente après seize années riches en résultats et en émotions passées à la tête de l’équipe de Russie. L’hostilité observée heurte au plus haut point le judoka mais aussi le fils qu’il est. Nul n’est prophète en son pays, dit l’adage. Le fils de l’un des entraîneurs les plus respectés de la planète l’aura ressenti dans sa chair ce soir-là.
Au départ de ce nouveau cycle olympique, il couche sur sa feuille de route trois objectifs clairs : « apprécier le chemin ; ne pas perdre de temps sur les choses qui n’ont pas d’utilité ; être moi-même et m’exprimer. » Blessé en février, il se fait opérer le 30 juin de ce bourrelet glénoïdien qui l’enquiquine depuis plusieurs saisons, pile au sortir d’un stage international de trois jours organisé par son paternel dans leur fief de Brescia. « Je mobilise peu à peu mon épaule et ne me mets pas de pression pour revenir » conclut celui qui se dit bluffé par le niveau du Russe Timur Arbuzov, nouveau champion du monde des -81 kg, chez qui il ne voit pour l’heure « pas de points faibles ».

Faïza Mokdar, n°9 à la ranking des -57 kg – Vainqueure en 2024 du Grand Chelem de Paris en février, du Grand Prix de Zagreb en septembre et de la Ligue des champions en décembre à Montpellier avec le PSG Judo, Faïza aborde 2025 avec l’envie de montrer cette fois son minois sur les grands championnats et d’y faire bonne figure, dans une catégorie où la double médaillée olympique Sarah-Léonie Cysique n’a « que » vingt-sept ans. Cinquième cette fois aux Grands Chelems de Paris et de Tashkent, elle se rassure en février en décrochant le titre de championne de France par équipes de clubs, puis en mai en remportant le Grand Chelem d’Astana. Pas suffisant toutefois pour être sélectionnée en individuel aux Europe ou aux mondes. D’autant qu’entretemps l’équipe de France s’est trouvée une nouvelle promesse en la personne de Martha Fawaz, sa dauphine des derniers championnats de France, en or à son tour au Grand Chelem de Paris, en argent à celui de Tbilissi et en bronze aux Europe de Podgorica. Étranglée sévèrement au premier tour des mondes de Budapest, cette dernière voit Faïza seconder Cysique sur l’épreuve par équipes mixtes. Arrivée en milieu de semaine à Budapest, la Parisienne ne « ne rapporte pas de points » face à ses rivales coréenne et brésilienne et, au-delà de ça, ne ressent pas la dynamique d’équipe telle qu’elle se dégageait des six Fantastiques de la dernière finale olympique face au Japon. Le sacre individuel de la Géorgienne Eteri Liparteliani ? « La prochaine fois, il faut que j’y sois » coche-t-elle simplement. Cela lui laisse le temps d’ajuster le copieux agenda de ce début d’olympiade, entre repères à trouver avec le nouveau staff tricolore et celui d’un PSG Judo qui enregistre début juillet le départ de Damiano Martinuzzi, mais aussi l’obtention de deux unités capitalisables de son DES, les stages d’été et… « l’importance de savoir couper, car la route est longue et il faut arriver frais. »

Martti Puumalainen, n°14 à la ranking des +100 kg – Interviewé pour la première fois un mois avant son tonitruant titre européen de Montpellier en 2023, le Finlandais est rentré bredouille de ses neuf sorties internationales suivantes. Pire : sa dernière défaite en date, au deuxième tour des mondiaux de Budapest face au Coréen Min-jong Kim, est devenue virale tant le kata enroulé du tenant du titre est un modèle du genre. Une semaine après, pourtant, il parvient enfin à briser le cycle en devenant champion du monde militaire à Warendorf, Allemagne. Du baume au cœur pour l’élève du Slovène Rok Draksic, qui aura pu constater ces derniers mois le niveau d’attente qui pèse sur les épaules d’un champion d’Europe, a fortiori venu d’une « petite » nation et, qui plus est, dans une catégorie des +100 kg devenue totalement échevelée – et de loin l’une des plus spectaculaires de ces mondiaux hongrois, ainsi que l’illustre sur Judo TV ce commentaire de Dennis van der Geest, champion du monde 2005 de la catégorie, à propos du tableau infernal qui attendait le Russe Inal Tasoev : « Il passe de Turoboev qui mesure quatre mètres à Bashaev qui mesure un mètre ». Impressionné aux mondiaux par les sacres de Timur Arbuzov, d’Alice Bellandi et la pose mentali-Té de Joan-Benjamin Gaba, juillet est pour lui l’occasion de se ressourcer au grand air au guidon de son gravel, autour d’une canne à pêche avec son compatriote Luukas Saha ou derrière une tondeuse à gazon – « bref, profiter de l‘été finlandais ». La suite ? « Je n’ai pas changé mon éthique de travail, insiste-t-il. Je fais confiance au process mis en place par Rok. »

Paco Lozano – Il est rare que les photographes s’expriment autrement qu’à travers leurs images. Avec Paco, c’est une complicité qui remonte à quelques années déjà. Présent sur la plupart des grands rendez-vous du circuit depuis les Europe de Lisbonne en 2008, il ramène cette année 35 350 images des championnats du monde de Budapest et un regard sur la discipline qui, une fois encore, ne se limite pas au tatami. Parmi ses grosses impressions : le doublé titre olympique-titre mondial de la -78 italienne Alice Bellandi ; le sang-froid de la nouvelle génération de judokas russes, pas loin de l’expression « froid comme un concombre » employée jadis par le tennisman John McEnroe lors de l’avènement de son jeune compatriote Pete Sampras ; le sacre mérité du Japonais Sanshiro Murao en -90 kg (« il aurait dû gagner les JO l’an passé ») ; l’implication jamais prise en défaut de son compatriote et aîné Kosei Inoue, qui n’a pas manqué une miette des combats depuis les tribunes « là où d’autres passent leur temps en salon VIP » ; le titre de Joan-Benjamin Gaba qui compense l‘impression mitigée laissée par une équipe féminine française en pleine transition après les fastes années Benboudaoud-Massina ; la domination en -57 kg de la Géorgienne Eteri Liparteliani, vice-championne d’Europe en avril, championne du monde en juin et décisive à chaque fois dans la conquête de l’or par équipes mixtes (elle est le chaînon manquant après lequel courait depuis si longtemps « le pays des hommes forts ») ; le forfait à mi-championnats des athlètes israéliens, dont la deuxième vague de combattants a été clouée au sol suite aux représailles iraniennes dans le conflit armé opposant les deux nations ; l’absence aussi des Ukrainiens, furieux de voir la Biélorussie autorisée à combattre sous ses propres couleurs ; le déclin confirmé de Cuba malgré la belle cinquième place du -66 Orlando Polanco… Quant à la longue et inhabituelle pause estivale prise par le circuit, elle est l’occasion pour les champions de multiplier les stages et les interventions. « Ils monnayent leurs médailles et ils ont bien raison. »

Melkia Auchecorne, n°8 à la ranking des -63 kg – La fenêtre de tir était immanquable – et c’était bien là le problème. Double championne du monde junior en titre d’une catégorie – les -63 kg – qui a toujours vu une Française sur un podium olympique ou mondial depuis 2011, Melkia Auchecorne a dû sa première participation aux championnats du monde séniors au tour de passe-passe dealé en février avec Clarisse Agbégnénou, cette dernière préférant s’engager sur les Europe d’avril pour des raisons d’agenda personnel, lui libérant en contrepartie la place que lui avait attribuée d’office le Comité de sélection pour les mondiaux de juin. Troisième au Grand Chelem de Paris, deuxième à celui de Dushanbe et en or à celui d’Astana, la benjamine de l’équipe de France débarquait à Budapest avec des ambitions légitimes, au même titre que son autre rivale nationale Manon Deketer (cinquième aux Europe, vainqueure cette saison du Grand Chelem d’Abou Dhabi, deuxième à ceux de Paris et de Tbilissi face aux deux futures finalistes mondiales, la Japonaise Haruka Kaju et la Canadienne Catherine Beauchemin-Pinard). Après un premier tour maîtrisé face à la Vénézuélienne Anriquelis Barrios, elle cédait malheureusement dès le deuxième tour face à une double médaillée mondiale, la Mongole Enkhriilen Lkagvatogoo, qu’elle avait pourtant dominée un mois plus tôt en demi-finale du Grand Chelem kazakhstanais. « Je suis déçue car je n’ai pas réussi à me libérer et je me suis précipitée » analyse-t-elle à tête reposée, elle dont l’entourage ne cesse de lui rappeler que Clarisse Agbégnénou elle-même n’avait tenu que quelques secondes face à une obscure Thaïlandaise lors de son tout premier championnat du monde senior, en 2010 à Tokyo. Pas loin de dire qu’à chaud tout ça lui fait une belle jambe, la protégée de Benjamin Gury préfère se projeter sur ses études de Sciences politiques et sur le drôle de semestre qui s’ouvre – parfait pour les anciennes qui ont besoin de doser le tempo mais frustrant pour les jeunes louves comme elle qui n’aspirent qu’à renverser la table.

Toma Nikiforov – « Ça me fait bizarre de le voir arrêter, un de plus. […] Maintenant père de famille, tout ça… Le temps vole… » C’est un bout du message reçu d’Amandine Buchard à l’annonce de la retraite du colosse schaerbeekois. Partant sur le principe pour jouer le jeu de l’accompagnement comme ce fut le cas à ses débuts du temps de la World Judo Academy, nous n’avons pas insisté pour ces premières semaines. Priorité à la famille, aux vacances scolaires de ses filles et aux premiers pas dans sa nouvelle vie.

Morgane Sellès – Tout est parti d’une longue conversation dans un coin de la salle d’échauffement au dernier Grand Chelem de Paris, entrecoupée par le passage et les salutations de nombreux acteurs du circuit. Croisée jusqu’ici tantôt avec le survêtement de l’équipe de France puis avec celui du Kazakhstan, la kiné du sport officie depuis le printemps 2024 sous les couleurs de l’Azerbaïdjan. Une nation en pleine bourre depuis ses deux titres olympiques de Paris avec le -73 kg Hidayat Heydarov et le -100 kg Zelym Kotsoiev, sous la houlette de l’Allemand Richard Trautmann qui semble avoir fait sien le vieil adage de Carlo Ancelotti : « Le rôle du coach n’est pas de réduire un talent pour l’adapter à l’équipe, mais d’élever l’équipe pour faire briller le talent. »
La vie de cette jeune maman laisse peu de place pour l’impro. Sa fille de cinq ans a grandi jusqu’ici aux Pays-Bas. Et elle-même bûche sur son rare temps libre à la fois pour le suivi à distance de ses athlètes mais aussi pour l’élaboration qui lui tient à cœur d’un protocole de récupération qu’elle entend voir standardisé à l’échelle du pays, et pour lequel elle s’enfile « des pages et des pages de bibliographie« .
Les mondiaux de Budapest ? « Paradoxalement, c’est là où j’ai le moins de travail, toutes proportions gardées bien sûr ». Une compétition de transition après les agapes parisiennes et en attendant ceux de 2026 à… Bakou, qui ne manqueront pas de solliciter la fibre patriotique. Cette semaine se solde par trois médailles et la cinquième place inattendue du vétéran Ushangi Kokauri, pas revu à ce niveau depuis sa médaille d’argent à domicile en 2018. Pour la superstar Hidayat Heydarov, auteur du triplé Europe-mondes-JO en 2024, il faut désormais gérer le poids des attentes d’un peuple qu’il a habitué à des standards stratosphériques. Son échec au premier tour est une leçon mais aussi un rappel. Quel que soit le nombre de sollicitations désormais, il sait que l’endroit où il se sent le mieux, ça reste encore le tapis.
Idem pour Zelym Kotsoiev. Tenant lui aussi des titres olympique et mondial, c’est à l’orgueil qu’il est cette fois allé chercher le bronze, faisant sienne la sentence de l’ancienne tenniswoman Martina Navratilova : « Un champion se reconnaît à sa capacité à gagner même quand il ne joue pas bien. » Autre fierté de kiné : la médaille du -90 Eljan Hajiyev. Opéré de l’épaule et des croisés après les JO, il est la preuve que quand une rééducation est bien menée, les résultats sont au bout. « En quinze ans de taf de kiné, je n’ai jamais vu quelqu’un reprendre aussi vite à un tel niveau après deux grosses blessures comme ça. Quand tu es sérieux sur ta rééducation, tu peux re-performer plus haut que le niveau qui était le tien avant. »
Après un été entre les Pays-Bas, Bakou, un stage en montagne et un autre au Brésil, le gros objectif de l’automne sera les Jeux islamiques en Arabie Saoudite. Une échéance perçue sous ces latitudes comme « aussi importante que les championnats du monde ».

Daikii Bouba, n°9 à la ranking des -66 kg – Il était un des trois de l’AJA Paris XX croisés fin décembre 2023 au stage italien de Bardonecchia, avec le -60 Maxime Merlin et le -73 Benjamin Axus. Vingt-sept ans déjà à l’époque et l’intime conviction que son histoire à lui n’avait pas encore commencé, malgré une cinquième place trois semaines plus tôt au Grand Chelem de Tokyo et la place de titulaire des -66 kg aux JO déjà attribué à Walide Khyar, qu’il connaît « depuis les minimes » et avec qui il entretient une « concurrence positive ». Présent en tribunes aux JO de Paris pour encourager les copains – et croiser un spectateur discret nommé Inal Tasoev -, il poursuit à l’automne la belle dynamique aperçue au printemps (médaillé d’argent chronologiquement aux Grands Chelems de Bakou puis d’Abou Dhabi). Au premier semestre 2025, rebelote : finaliste au Grand Chelem de Paris, il délivre bien plus que la compétition d’une vie aux Europe de Podgorica, donnant l’impression de se déplacer au ralenti et en contrôle face à des rivaux en surrégime. Une posture de grand frère calme et d’antihéros confirmée par le ton posé des interviews distillées ici et là les semaines suivantes, rappelant de façon diffuse ces longues palabres au pays, à l’ombre du manguier et entre deux thés chauffés sur le poêle à charbon. Voix douce, propos introspectifs, ses vérités sont celles d’un newbie de vingt-neuf ans – et journalistiquement c’est un bain de jouvence en cette époque riche en éléments du langage repérables à des kilomètres à la ronde. Un ton raccord avec le vœu de modestie auquel renvoie l’étymologie d’un prénom venu de ce nord du Cameroun où il puise une partie de ses racines. Battu au troisième tour des deux derniers championnats du monde, sa dynamique des derniers mois lui fait nourrir de légitimes espérances à l’approche de l’échéance de Budapest. Il est malheureusement contré d’entrée au golden score par le Mongol naturalisé émirati Narmandakh Bayanmunkh. Son analyse rétrospective est à son image, lucide et exigeante : « Ça s’est joué avant, sur la préparation. Après mon titre européen, j’ai ressenti une grande fatigue. Inconsciemment, j’ai commencé à reporter des cases que je coche d’habitude. J’ai par exemple zappé une séance avec ma préparatrice mentale. D’ordinaire aussi, je réduis l’exposition aux écrans pour lire davantage au calme à l’approche des échéances. Cette fois je ne l’ai pas fait. C’est râlant car mon entourage m’a pourtant mis les warnings et puis deux des gars sur le podium, je les ai battus récemment – dont le champion du monde japonais. » À sa décharge, le champion de France 2021 était accaparé depuis septembre dernier par des préparatifs annexes. Le 12 juillet, jour des trente ans de sa coéquipière Amandine Buchard, il était de mariage à Tours – et pas n’importe quel mariage : le sien. Il y a des saisons comme ça, où aux sales défaites succèdent les salles des fêtes. – Tous propos recueillis par Anthony Diao. Montage d’ouverture : ©Peyo Diao-Thomé/JudoAKD.
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