Judo aux JO –  Un journal olympique 2024 – J3/8

Lundi 29 juillet – La récompense de trois patiences

 

JudoAKD#014 – « Ippon ou shido, pour moi c’est pareil ». En nous livrant cette analyse au cours d’un entretien il y a quelques années, le Néerlandais Henk Grol, 14 médailles olympiques, mondiales et européennes en 18 années de carrière, a levé un voile éclairant sur le paradoxe structurel du judo sportif contemporain. À quoi bon en effet essayer de projeter nettement si une poussée en bordure de tapis, un coup de manivelle astucieux voire une « Neymar » permettent de faire tomber les pénalités et, ce faisant, de gagner ? Exit le fameux « vaincre sans convaincre n’est rien » des textes fondateurs. Le flacon, l’ivresse de la victoire, tout ça. S’il fallait ne lancer que des attaques qui terminent en poster sur les murs des dojos pour s’imposer, la dynamique serait sans doute différente. L’heure est au judo-pourcentage et aux calculs d’épiciers – cette journée de lundi augurée par un forfait polémique l’a abondamment rappelé. Et les WhatsApp d’ami(e)s non experts de s’accumuler : « c’est sympa ton sport, mais je ne comprends pas tout »… La même contre-intuitivité préside aux célébrations : immédiatement recadrées par l’arbitrage central lorsqu’elles prennent une tournure excessive, ce sont pourtant ces rares moments d’armures fendues et d’entorses au protocole qui régalent les photographes et les chroniqueurs puis tournent ensuite en boucle sur les réseaux sociaux. Faudrait savoir !

C’est à la croisée de ces injonctions contradictoires intériorisées que s’est retrouvée la Canadienne Christa Deguchi, championne olympique des -57 kg ce lundi. Fin 2022, nous l’avions vue démontrer ses techniques lors d’un stage international en Italie. C’était propre, précis, pertinent et efficace. C’était judo. Ce 29 juillet, au contraire, c’est une numéro un en mode calculatrice-sur-pattes qui a progressé de tour en tour, davantage mue par la peur de perdre que par le plaisir de (con)vaincre. Il faut dire que son histoire personnelle l’a quelque peu échaudée. Systématiquement Top 2 de sa classe d’âge et de poids lorsqu’elle représentait son Japon maternel comme depuis 2018 et son switch pour les terres canadiennes de son paternel, elle aura par trop souvent dû s’effacer pour laisser d’autres récolter des lauriers qu’elle aurait pu et dû aller chercher. Cette fois c’était son tour et il n’y aura ni destin-savonnette, ni personne pour lui signifier que ce n’était pas mérité. Mais il n’y a pas de championne sans lucidité sur son époque. Comme l’a relevé Guillaume Gendron lors de la conférence de presse post-podium, la protégée de l’ancien médaillé olympique et mondial Antoine Valois-Fortier n’en pense pas moins des règles qui l’ont pourtant faites reine : « Les règles du judo ont beaucoup changé ces deux dernières années, mais je pense que quelque chose ne va pas. Il faut qu’on revienne à un meilleur judo. » Entendre : des victoires claires, pas du billard à trois bandes oreillette-vidéo-alinéa obscur du règlement modifié la semaine précédente… Il y a quelques mois, la même s’était fendue d’un entretien filmé à fleur de peau pour parler des abîmes d’où elle était remontée en début d’olympiade. Toute personne un tant soit peu soucieuse de son prochain et notamment de celles et ceux qui ont « l’ailleurs en eux » devrait prendre le temps d’y jeter une oreille.

 

 

Des deux Français qui sont montés sur la boîte ce lundi, Joan-Benjamin Gaba illustre le mieux cette thématique de la patience. Souvent éliminé prématurément en tournoi, se faufilant entre le taulier sortant Guillaume Chaine, le numéro un français Benjamin Axus et la hype du retour espéré puis avorté de l’icône Ugo Legrand, le -73 kg a su répondre présent lors des trois rendez-vous qui comptaient le plus : champion de France en novembre, médaillé européen en avril et vice-champion olympique ce 29 juillet. Une école de la patience et de l’art d’attendre son heure qui contraste avec la régularité de métronome de sa compatriote Sarah-Léonie Cysique, sur un podium olympique pour la deuxième fois en trois saisons et qui n’est plus très loin de la compétition parfaite de laquelle son judo compact la rapproche chaque jour davantage.

Dernière patience sur pattes – même si le Japonais Hashimoto, troisième ce lundi, se pose là également, lui qui aura longtemps vécu avec le cruel statut de meilleur -73 du monde terrestre… derrière l’E.T. Shohei Ono -, il s’agit de l’Azerbaïdjanais Hidayat Heydarov. Longtemps dans l’ombre lui aussi d’un glorieux compatriote, le désormais retraité Rustam Orujov, le numéro un mondial a fait retentir l’hymne de son pays lors de sept de ses huit dernières sorties depuis un an. Toujours sur l’initiative debout comme au sol, enquillant les golden scores avec la résistance d’un coureur de 400 m et l’endurance d’un spécialiste du 10 000 m, l’homme couvé depuis la chaise de coach par l’expérimenté allemand Richard Trautmann et, depuis les tribunes par son « grand frère » Elnur Mammadli, a atteint ces derniers mois un tel niveau de confiance en ses décisions qu’il paraissait comme muni de boules Quiès face à la bruyante ferveur patriotique de l’Arena Champ-de-Mars, ce chaudron éphémère qui semble donner un supplément d’âme durable aux tricolores. Le voici triple tenant du titre européen, tenant du titre mondial et tenant du titre olympique… Tenant du titre, l’autre grade préféré des compétiteurs. – Anthony Diao. Photo d’ouverture : ©Gabi Juan – EJU/JudoAKD.

 

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