Jeudi 1er août – L’esprit et la lettre
JudoAKD#017 – C’est un passage en passant, parmi les dizaines d’articles sur lesquels nos yeux transpirent quotidiennement depuis le début de ces Jeux. Il raconte un jeudi olympique d’humeur saudade pour la nation hôte malgré la visite remarquée de Snoop Dogg. Le -100 français Aurélien Diesse vient de se faire éliminer. Il passe en zone mixte débriefer. Le cœur n’y est pas mais l’ingénieur de métier se plie pourtant à l’exercice. La suite, c’est à nouveau Guillaume Gendron qui est allé la chercher, ne se contentant pas de redire en mieux ce que tout le monde a vu mais – et ceci personne ne peut l’extrapoler -, ce qui advient lorsque le bruit et la fureur de l’évènement font soudain silence, ou plutôt se poursuivent sans vous, et les minutes qui s’ensuivent. « Diesse conclut sur une banalité qui n’en est pas moins juste, et qu’il faut savoir sortir alors que tous les muscles brûlent encore du feu sacré : ‘Le sport, c’est ingrat. Mais au bout, faut être sur la boîte [le podium]. Littéralement à la hauteur’, celle des marches. Dans son dos, un judoka italien au dos voûté, autre éliminé précoce, s’éloigne à pas lents, sans qu’un micro ne se tende. ‘Et je ne l’ai pas été’, se flagelle une dernière fois Diesse. »
La défaite d’entrée de Madeleine Malonga en -78 kg dans une catégorie remportée par sa tête de série n°1, l’Italienne Alicia Bellandi et son intense entraîneur Antonio Ciano, soulève plein d’interrogations pour cette amatrice et productrice de podcasts sur la santé mentale. Vaut-il mieux, avant une entrée en lice le sixième jour, passer après des coéquipières qui ont plutôt sur-performé ou plutôt sous-performé ? Quel effet ont eu sur elle les six pages de « clarification » au napalm qu’Audrey Tcheuméo, sa grande rivale des deux dernières olympiades, a posté sur les réseaux sociaux à une semaine de son entrée en lice ? Ce droit d’aînesse culturellement rappelé entre les lignes (les deux femmes ont trois ans d’écart) ne pouvait-il la conforter dans autre chose que dans un syndrome d’imposture, par hypothèse pas le meilleur allié qui soit au moment d’affronter une cliente comme la Portugaise Patricia Sampaio, future troisième ? Et quid de cet éléphant dans le salon que fut la reconduction quasi à l’identique (six combattantes sur sept) de l’équipe de France féminine entre les Jeux de Tokyo et de Paris, là où le Japon par exemple n’en a conservé que trois sur sept ? Vivement l’épreuve par équipes mixtes pour remettre un peu de certitudes dans tout ça.
Dans ces JO où les têtes de série n°1 tiennent plutôt bien leur rang – lauréats en -52, -57, -70 et -78 kg chez les féminines et en -73, -90 et -100 kg chez les masculins, en attendant ce vendredi -, où le Japon apparaît bien moins chirurgical qu’il ne l’était durant les années Kosei Inoue (sept médailles dont trois titres sur les douze premières catégories là où, aux JO de Tokyo, la même équipe en était à dix médailles dont huit titres), et où le très pieux -90 serbe Nemanja Majdov voit la main du Malin dans son élimination prématurée mercredi (sa quinzième disqualification de l’olympiade, écrit-il !), une autre interrogation a surgi. Pourquoi une catégorie aussi explosive que les -100 kg a-t-elle soudain semblé bien fade à suivre une fois ses habituels dynamiteurs éliminés, qu’il s’agisse du Portugais Fonseca, du Canadien El Nahas ou du Belge Nikiforov, et ce jusqu’au coup d’envoi du bloc final où, cette fois, chaque combat était à nouveau un carrefour de narratifs ? La réponse a sans doute à voir avec l’extrême dilution du leadership dans cette catégorie. Sur l’olympiade, les trois titres mondiaux et les trois titres européens en jeu ont été remportés par cinq athlètes différents. Le bon côté c’est que cela traduit une catégorie ouverte. Le bémol c’est que cela la rend de fait désincarnée de dramaturgies à raconter, à l’inverse du tennis professionnel des vingt dernières années par exemple ou de catégories comme celle des +100 kg. Seul l’Azerbaïdjanais Zelym Kotsoiev a finalement réussi à mettre tout le monde d’accord dans la dernière ligne droite : champion d’Europe en novembre, champion du monde en mai, champion olympique en août, avec cette impression de maîtrise implacable qui donne à l’accélération soudaine d’une carrière les pourtours d’un projet bien préparé. En finale, une hésitation, une seule, vaut au Géorgien Ilia Sulamanidze d’être sanctionné d’une pénalité éliminatoire. Un couperet dont une réglementation cohérente, moins à cheval sur la règle que sur l’esprit, aurait dû tout faire pour le protéger puisqu’il menait au score grâce à une action, une vraie. Après les Europe de Montpellier et les mondiaux d’Abou Dhabi, c’est la troisième finale majeure en dix mois entre les deux hommes, avec à chaque fois la même issue. Et de repenser, en l’absence remarquée de l’épouvantail russe Matvey Kanikovskiy, champion d’Europe en avril à Zagreb, à ces mots de Stéphane Nomis, président de la Fédération française, à l’annonce du forfait des judokas russes et biélorusses par effet de dominos suite au conflit ukrainien : « ‘Tous les athlètes devraient être autorisés à participer aux Jeux olympiques. Au démarrage, Pierre de Coubertin a voulu que ce soit un moment de paix, de partage et de dialogue’. Pour lui, ‘retirer les Russes, c’est appauvrir et dévaluer encore un peu plus les Jeux olympiques de judo, qui devraient au contraire être le summum du haut niveau’. » Un positionnement clivant mais assumé. C’est assez rare pour être noté. – Anthony Diao. Photo d’ouverture : ©Gabi Juan – EJU/JudoAKD.
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