Kevin Cao (II) – Sur les traces d’Adrien Thevenet

Un an et demi a passé depuis notre premier entretien avec Kevin Cao (La parole aux silences, JudoAKD#005). Un peu plus d’un an également après s’être croisés sur une ultime journée des Jeux paralympiques 2024 riche en émotions tant françaises qu’étrangères. En cet automne 2025, le journaliste limougeaud revient avec Rattrapé par la ceinture, un nouvel ouvrage à quatre mains, écrit cette fois aux côtés d’Adrien Thevenet, ex-« enfant abandonné dans un camp en Éthiopie qui, après une enfance compliquée et une adolescence chaotique, semblait promis à l’internement ou à la prison » mais aura vu son existence… rattrapée par la ceinture de son judogi. « Adopté en France à l’âge de cinq ans, Adrien Thevenet, sociétaire du Judo Club Châtelaud (Haute-Vienne), est devenu quadruple champion de France de sport adapté et a disputé les Global Games, l’équivalent des Jeux olympiques pour les sportifs en situation de handicap mental« , poursuit le communiqué de presse. À Kevin de donner un avant-goût du reste. – JudoAKD#044.

 

 

 

 

Une version en anglais de cet entretien est disponible ici.

 

Comment s’est faite ta rencontre avec Adrien Thevenet ?

La première rencontre a eu lieu en 2023. J’avais entendu qu’un judoka de la Haute-Vienne, plusieurs fois champion de France de sport adapté, s’apprêtait à disputer les Global Games, l’équivalent des Jeux olympiques pour les déficients mentaux. Dans ce cadre, j’avais fait une page portrait pour mon journal, Le Populaire du Centre. J’étais un peu resté sur ma faim car il était impossible de tout conter en une seule page. Or Adrien a vécu mille vies et a surtout enduré mille maux avant de bénéficier de cette reconnaissance. 

 

Qu’est-ce qui vous a décidés tous les deux à vous lancer dans ce projet d’ouvrage ?

L’idée vient de Gérard Bayle et d’Houcine Ghobrini, les dirigeants du club de judo de Chateauponsac, où Adrien a démarré le judo. Le lundi 9 septembre 2024, ils sont à la mairie de Limoges, lors du retour triomphal de Cyril Jonard de Paris 2024. En voyant, ce jour-là, le livre de la légende du para judo français, ils se disent la même chose : « Et pourquoi pas un livre sur Adrien ? ». Ils me contactent dans la foulée et, après une réunion avec les parents d’Adrien, ce projet devient une évidence : il y a une histoire à raconter. Elle est triste et dure mais elle est surtout vraie et inspirante. Ce garçon qui réside dans un foyer de vie mérite d’être mis en lumière. Peu de monde le connaît, il a vécu les pires atrocités et, plus de trois décennies plus tard, alors qu’on craignait qu’il finisse en prison ou en hôpital psychiatrique, il est plus vivant que jamais… Nous avons déjà eu de longs échanges à ce sujet : je crois, comme toi, à l’humain. Aux histoires avant les résultats. Au ressenti plutôt qu’aux datas. Et, comme pour Cyril Jonard, il y a cette volonté de s’investir pour un homme qui mérite autant de lumière que tous les champions surmédiatisés. 

 

Comment as-tu procédé ?

J’ai surtout recueilli le témoignage de ses proches (parents, frère de cœur, sœur adoptive, professeur de judo, etc.) pour retracer son parcours. Il y avait la volonté d’être le plus fidèle possible à son histoire chaotique sans tomber toutefois dans le voyeurisme. 

 

Adrien Thevenet en couverture de Rattrapé par la ceinture. ©Quentin Vectan-Berbey et Marius Mondy/JudoAKD

 

Qu’as-tu appris en travaillant sur cet ouvrage ?

Si je devais ne retenir qu’une seule chose, ce serait la force du judo. Ce sport transcende toutes les différences : peu importe le sexe, le poids, le handicap, les origines, les moyens, ou tout autre distinction possible, une fois que tu montes sur le tapis, tu es un judoka comme un autre. Comme tous les autres… Longtemps, le judo a été le seul refuge d’Adrien. C’est l’unique endroit où ce gamin, diagnostiqué déficient mental, se sentait bien… Tu le sais mieux que moi pour avoir suivi de nombreuses carrières à travers le monde, le judo change des vies. Et ce n’est pas une formule toute faite de journaliste. C’est la stricte vérité. Cyril Jonard et Adrien Thevenet en sont les meilleurs exemples. Alors qu’on leur promettait l’enfer, ils sont devenus des champions gagnant l’estime et le respect de ceux qui auraient pu faire preuve de dédain, voire pire, envers eux. 

 

Justement : notre précédent entretien est paru juste avant les JOP 2024 au cours desquels Cyril Jonard, sur qui tu venais d’écrire un second essai, s’est à nouveau illustré. Médiatisation, considération, évolution : comment a évolué ton regard depuis sur tout cela ? Est-ce aussi cela qui t’a conduit jusqu’à Adrien Thevenet ?

Je vais essayer de répondre de manière concise, tout en sachant qu’on pourrait parler pendant des heures de ces questions. Au retour des Jeux paralympiques de Cyril Jonard, j’ai été un observateur de l’engouement généré par le Limougeaud. Tout le monde voulait le voir, tout le monde voulait l’avoir. Même ceux qui n’avaient aucun intérêt pour lui quelques mois plus tôt. J’ai été malheureux pour lui car je voyais ces personnes qui voulaient profiter de son audience pour se mettre en avant. Mais Cyril m’a encore donné une leçon : cet homme intelligent n’était pas dupe et, malgré le fait qu’il ne voit ni n’entend plus, il ne s’est pas laissé berner. Ici, à Limoges, il bénéficie d’une belle cote de popularité. Les gens ont de l’estime et du respect pour son incroyable longévité et son inaltérable volonté de réussir l’impossible. Cette année, un film documentaire de vingt-six minutes a été réalisé sur lui dans l’émission L’œil et la main sur France 5). Aussi, même s’il voudrait que ça soit encore plus important, des sponsors lui tendent la main. Médiatisation, considération et évolution : c’est un long combat. Je ne sais pas s’il le gagnera un jour mais, comme toujours, il fait preuve d’abnégation… Ce combat dont je te parle est aussi le fil rouge de ma carrière. Grace à Paris 2024, le mouvement handisport a bénéficié d’une reconnaissance qui, je l’espère, ne s’étiolera pas dans le temps. Mais que dire du sport adapté ? Aujourd’hui, ses représentants n’ont aucune visibilité. Si ce livre sur Adrien pouvait constituer un modeste grain de sable… – Propos recueillis par Anthony Diao, automne 2025. Photo d’ouverture : ©Quentin Vectan-Berbey/JudoAKD.

 

 

 

 

Pour se procurer Rattrapé par la ceinture, à partir du 17/11/2025 : livre.adrienthevenet[a]gmail.com

 

 

Une version en anglais de cet entretien est disponible ici.

 

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