Né le 2 mai 1966 à Este (Italie), Raffaele Toniolo est depuis 1996 le maître de cérémonie d’un stage de Noël à la renommée croissante. Il se tient depuis 2012 sur les hauteurs de la station de ski de Bardonecchia, pile de l’autre côté des Alpes en sortie du tunnel de Fréjus. C’est le pendant hivernal d’un autre stage, estival celui-là, qui consiste à emmener les jeunes judokas du club en bord de mer. Avec sa compagne l’ancienne internationale Monica Barbieri et ses frères Pierangelo et Massimo que nous étions allés voir à l’oeuvre dans leur fief turinois de l’Akiyama Settimo (vidéo ci-dessous), l’ancien -71 kg est à la baguette de ce rendez-vous du 26 au 29 décembre qui fédère bon an mal an un millier de judokas venus d’une bonne dizaine de pays. Au fil des années, nous avons pu y croiser l’Allemand Ole Bischof, le Serbe Nemanja Majdov, les Slovènes Urska Zolnir et Tina Trstenjak, le Géorgien Varlam Liparteliani, le Hongrois Krisztián Tóth ou la Kosovare Majlinda Kelmendi nous démontrer l’importance du placement des mains dans la stratégie d’un combat ; le Coréen Jeon Ki-young nous dévoiler le secret de son fameux seoi inversé – dont il niera en interview être l’inventeur, préférant en laisser la paternité à l’un de ses… élèves – ou le Tchèque Lukas Krpalek nous décomposer à nous en faire péter la cage thoracique l’art de son retournement de boa constricteur mille fois imité mais jamais égalé ; la Canadienne Christa Deguchi, le Japonais Soichi Hachimoto ou les chouchous du lieu, les Italiens Fabio Basile et Manuel Lombardo, incarner l’importance de la forme de corps dans l’exécution d’une technique… Nous avons vu et essayé à notre tour tout cela et bien plus encore, au gré des sessions techniques et des combats qui changent l’immense gymnase en authentique sauna, mais aussi des discussions de fins de repas ou de troisièmes mi-temps où se comprennent et se mesurent un peu mieux les réalités de chacun, qu’il s’agisse du professeur de club octogénaire au million d’anecdotes pédagogiques à l’apprenti champion plein d’assurance en son domaine de compétence mais parfois ceinture blanche et avide d’apprendre sur d’autres terrains de la vie.
Pour toutes ces raisons nous avons voulu donner la parole à Raffaele Toniolo, en sa qualité de cheville ouvrière de ce pur moment d’entraide et de prospérité mutuelle, mais aussi d’entraîneur de l’équipe masculine italienne et, accessoirement, fier papa de deux filles qui le lui rendent bien, la dernière étant la titulaire nationale en -57 kg aux JO de Paris. – JudoAKD#028.
Une version en anglais de cet entretien est à lire ici.
Il y a une question que je souhaite te poser depuis longtemps. Comment te sens-tu chaque année au soir du 29 décembre, lorsque presque tout le monde est parti de Bardonecchia ? Est-ce un mélange de solitude, de fierté, de fatigue ? As-tu une routine, un dîner entre proches par exemple ? Comment se passent les jours suivants ?
Bonne question… Déjà, une certitude : le 29 décembre au soir, tous les ans, je suis effectivement rincé. Car, après avoir démonté le tapis et dit au revoir à tout le monde, je me rends compte que l’édition est terminée. Certaines années, je suis libre immédiatement après et, avec Monica, nous rentrons directement à la maison. D’autres années, je reste quelques jours de plus avec quelques intervenants pour visiter la ville. Dans ces cas-là, je ne rentre à la maison qu’après. Et là, une fois posé, c’est repos total. Après quatre jours à plein temps sur le tapis, j’en ai besoin.
Comment cette aventure a-t-elle débuté et d’où vient le choix de cette semaine-là, entre Noël et le jour de l’An ?
Tout a commencé en 1996. À la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, mes frères Massimo, Pierangelo et moi-même nous entraînions habituellement en août, au célèbre stage de Bertinoro organisé par Alfredo et Beppe Vismara. À cette époque, ce stage était le meilleur de toute l’Italie et les frères Vismara, pour les leçons techniques, invitaient généralement des athlètes ou des entraîneurs à montrer ce qu’ils savaient faire de mieux. C’est ainsi que nous avons pu assister à des interventions du médaillé olympique de Montréal, le Yougoslave Slavko Obadov, du champion olympique belge Robert Van de Walle ou de son compatriote Jean-Marie Dedecker, entraîneur de la formidable génération des Ingrid Berghmans, Ulla Werbrouck et Gella Vandecaveye. Mon frère Pierangelo a eu l’idée d’organiser un stage et nous avons choisi la période de Noël parce qu’en Italie, personne n’organisait de stage à cette période. À cette époque, à l’Akiyama, nous avions beaucoup de très bons cadets et juniors et, pour la première édition, nous étions environ 80 personnes. C’était à Entracque, un tout petit village dans les montagnes près de Cuneo.
Quand avez-vous senti que ce stage commençait à prendre de l’ampleur ?
Dès la deuxième édition. À Entracque, il n’y avait qu’un seul hôtel et il n’était donc pas possible d’augmenter le nombre de participants. Pour cette raison, et aussi pour offrir de meilleures possibilités pour ceux des participants qui souhaitaient profiter des installations de ski à proximité, nous avons décidé de déménager à Gressoney, l’une des stations de ski les plus célèbres d’Italie près du Mont Rose. Au début, nous étions hébergés dans une grande maison de montagne nommée Gino Pistoni House. Au bout de cinq éditions, nous avons étendu les possibilités d’hébergement à une autre maison dirigée par une religieuse. Nous y sommes restés jusqu’en 2011 car, malgré les deux maisons et quelques appartements à louer, nous ne pouvions accueillir « que » 600 personnes et, chaque année, beaucoup de judokas devaient trouver à s’héberger en dehors du camp. C’est pourquoi à partir de 2012 nous avons décidé d’emménager à Bardonecchia, qui était pour nous la meilleure solution pour augmenter le nombre de personnes et faire que le maximum de participants soit hébergé ensemble dans le même bâtiment.
Comment s’est fixé le choix d’organiser le stage sur le format actuel avec deux ou trois têtes d’affiche ?
Nous avons commencé avec un seul entraîneur puis, après quelques éditions, en 2002, nous avons ajouté un invité. À partir de 2005 nous avons invité deux entraîneurs pour diriger le stage. Puis, comme le nombre de participants augmente d’année en année, nous sommes progressivement passés à trois intervenants, ce qui, à mon avis, est la meilleure solution.
Comment parvenez-vous à avoir toujours de grands noms à cette période particulière de l’année ?
Ce n’est pas simple. Nous avons déjà reçu beaucoup de grands champions et il est donc très difficile d’en trouver de nouveaux chaque année. Parfois nous nous mettons d’accord avec quelqu’un et puis nous devons changer à cause d’une blessure ou parce que le calendrier de l’IJF évolue et qu’il ou elle ne peut plus venir. Alors qu’approche la 28e édition de notre stage, nous avons eu comme intervenants 12 champions olympiques, 8 médaillés olympiques et 9 champions du monde. Et nous essayons chaque année de proposer la meilleure solution pour chacun.
Qui fait quoi ? Combien de personnes sont au cœur de l’organisation ?
Nous nous répartissons les tâches. Normalement, Pierangelo s’occupe des relations avec le village olympique, qui nous accueille chaque année, et la ville de Bardonecchia. Avec Monica, ils s’occupent de l’accréditation et de la répartition des salles. Mon travail consiste à réfléchir avec Monica et mes deux frères aux intervenants pour les années à venir, à faire le planning des tapis et à animer les différentes séances. Évidemment, nous avons beaucoup d’amis qui nous aident pendant le stage.
Combien de mois en avance se prépare une édition ?
Normalement, nous commençons à penser à la prochaine édition à partir de février/mars de chaque année.
Le 13 février 2024, ta fille Veronica a été officiellement sélectionnée comme titulaire de l’équipe d’Italie en -57 kg pour les Jeux olympiques. Ce n’était pas une surprise vu sa montée en puissance depuis ses doublés européens et mondiaux tant en cadettes en 2019 qu’en juniors en 2023, mais je pense qu’en tant que père, c’est une incroyable fierté…
C’est même toute la famille qui est fière de ce résultat. Se qualifier pour les JO est un moment très important dans la vie d’un judoka et de tout sportif en général. Veronica est évidemment très heureuse que la Fédération italienne de judo ait annoncé sa sélection, car elle peut ainsi mieux se préparer à l’événement.
Quand Monica et toi avez-vous commencé à croire que, malgré son jeune âge, votre fille pourrait vraiment envisager Paris 2024 ?
Nous en étions convaincus dès le début de la période de qualification olympique, car nous connaissons très bien ses possibilités. Même dans les périodes difficiles, nous y avons toujours cru.
Vous êtes une « famille totale » du judo : toi, ta compagne Monica, vos filles Elisa et Veronica, tes frères Pierangelo et Massimo, ton père aussi… et peut-être d’autres que je ne connais pas encore ?
Oui, nous sommes une famille de judo. Notre fille aînée Elisa pratique également puisqu’elle a participé en 2017 au FOJE (Festival olympique de la jeunesse européenne) et aux championnats du monde cadets ainsi qu’aux championnats d’Europe juniors en 2020. En 2023, elle a obtenu le bronze aux championnats d’Italie -63 kg. Mais elle est aussi diplômée (comme moi) en physique et elle étudie maintenant la physique médicale. Et c’est effectivement par mon père que tout a commencé.
C’est-à-dire ?
En 1976, mes frères Massimo, Pierangelo et moi faisions de la natation ainsi que d’autres sports. Notre père, qui avait 40 ans à l’époque, avait un collègue de travail qui avait arrêté de fumer dès qu’il avait commencé le judo, alors il a décidé de pratiquer le judo… pour arrêter de fumer. Il a suivi un cours et, au deuxième, il a décidé de nous emmener au dojo avec lui. Et, comme nous étions déjà occupés tout l’après-midi avec d’autres sports, il a décidé de nous emmener dans le cours des adultes. Pour Massimo et moi c’était assez simple parce que nous étions très semblables, moi 9 et lui 8 ans, mais Pierangelo, lui, avait 5 ans. Tu t’imagines ?
Bien sûr…
Au bout de quelques mois mon père et moi sommes passés ceinture jaune et, à partir de septembre, nous avons commencé la saison mais dans un cours « normal » avec des enfants de notre âge. Mon père, lui, a réussi à arrêter de fumer après la ceinture jaune, alors il a abandonné la pratique du judo sur le tatami pour consacrer une grande partie de sa vie à la construction de l’Akiyama.
Justement, lors de mon reportage à l’Akiyama Settimo, j’ai été vraiment impressionné par la façon dont chacun sait exactement ce qu’il a à y faire : Massimo avec les enfants, Pier avec les champions en devenir, toi avec l’équipe nationale… Ailleurs, j’ai eu l’occasion de croiser beaucoup d’apprentis champions qui ne continuent pas parce que leur premier professeur ne les laisse pas couper le cordon et grandir loin d’eux. Comment avez-vous réussi à trouver cet équilibre ? Je suppose que vous avez, vous aussi, connu votre lot d’erreurs en chemin. Combien de fois par mois échanges-tu avec tes frères pour partager vos informations, par exemple ?
En ce qui concerne les judokas de haut niveau d’Akiyama, je parle tous les jours avec Pierangelo pour programmer les entraînements et les compétitions.
Parfois, le fait d’avoir de fortes solidarités familiales peut effrayer les autres et faire de vous une « île » dans le système italien du judo. Comment faites-vous pour éviter cela et pour construire des ponts ? Bardonecchia fait-il partie de ce processus ?
Pendant de nombreuses années, l’Akiyama a effectivement été une « île », non pas pour nous mais du point de vue du judo italien dans son ensemble, qu’il s’agisse de la Fédération ou des meilleurs entraîneurs nationaux. Juste parce que nous avons grandi seuls, sans entraîneurs renommés et avec cette idée très répandue qu’il est dans ces cas-là impossible de former un champion. Au début ils pensaient que nous étions au mieux capables d’entraîner des moins de 15 ans. Puis, quelques années plus tard, des moins de 18 ans. Puis, encore après, quelques bons juniors. Il a fallu attendre que Fabio Basile gagne les Jeux olympiques de Rio en 2016 pour que tout le monde prenne la mesure de la qualité de notre enseignement.
Justement, qu’est-ce qui a changé ces dernières années, dans les rapports qu’entretient le club avec la Fédération italienne de judo ?
Après les Jeux de Tokyo, la Fédération a décidé de faire de l’Akiyama l’un des centres d’entraînement fédéraux. Cela a permis à nos meilleurs athlètes de venir s’entraîner au club à l’approche des compétitions, ce qui leur permet d’exprimer tout leur potentiel. De fait, cet entraînement est ouvert aux autres clubs, ce qui permet aux entraîneurs de mieux connaître notre système.
Le stage de Bardonecchia s’inscrit dans ce contexte. C’est un moment magique qui, chaque année, permet à d’autres clubs et judokas de venir grandir avec nous et de mieux connaître notre système, non seulement du point de vue technique, mais aussi au plan personnel. Nous sommes d’ailleurs très fiers du fait que, à la suite de notre stage de Bardonecchia, de nombreux clubs organisent d’autres stages en Italie.
Je n’en suis pas certain mais aux derniers JO, en judo, il me semble que tu étais le seul père assis sur la chaise de coach de sa fille. Veronica a eu un tirage au sort difficile avec, comme aux championnats du monde deux mois avant, une Japonaise d’entrée de jeu. Que retirez-vous de cette expérience, tous les deux ?
Je ne pense effectivement pas qu’aux Jeux Olympiques de Paris il y ait eu d’autres parents entraînant leur fils ou leur fille. Je pense que Veronica apprendra beaucoup de ces JO, surtout qu’il faut savoir que quarante jours avant les Jeux, elle s’était blessée à la main gauche. Le jour de la compétition, sa main ne se fermait pas du tout et donc, pour elle, concourir sans pouvoir compter dessus n’était pas l’idéal. Son tirage au sort était terrible avec la Japonaise Funakubo d’entrée mais elle est montée sur le tapis pour gagner. Pour moi c’était ce qu’elle pouvait faire de mieux compte tenu de sa condition physique.
Elle a également semblé très déçue par le dernier combat de l’épreuve par équipes mixtes, face à la Brésilienne Silva. Qu’est-ce qu’elle retiendra de cette semaine, selon toi ?
Dans la compétition par équipe, Veronica s’est à nouveau battue avec une très bonne attitude, bien que le choc de la défaite sur le dernier combat décisif a été lourd à porter. Immédiatement après, toute l’équipe est venue la voir et tout le monde a eu des mots justes. Quelques heures plus tard, ses coéquipiers lui ont également beaucoup parlé. Je pense que ces discussions l’ont beaucoup aidée à surmonter cette situation difficile… Comme après chaque échec, Veronica a hâte de s’entraîner et de reprendre la compétition dès que possible mais, pour le moment, nous essayons de mieux comprendre l’état de sa main gauche car, à l’heure où je te parle, la situation est presque la même qu’à Paris.
À Paris justement, Monica, Pierangelo et plusieurs autres proches étaient en tribunes… Cet aspect familial est-il un point clé dans les performances de tes athlètes ?
C’est certain. Nos athlètes s’entraînent avec nous depuis leurs débuts, donc nous les connaissons très bien, qu’il s’agisse des judokas, de leur famille et de leurs situations personnelles. Nous passons beaucoup de temps ensemble, tant à l’Akiyama qu’aux quatre coins du monde. Un lien très fort nous relie tous.
Quel bilan tires-tu de l’olympiade qui s’achève ?
Ces trois dernières années, l’Akiyama a essayé de qualifier plus de trois judokas pour les JO afin de battre notre record de Tokyo. À l’arrivée, nous en avons qualifié quatre dont, pour la première fois, une femme. Aux Jeux, Veronica et notre -60 kg Andrea Carlino ont eu un très mauvais tirage au sort et, en -66 kg, Matteo Piras a perdu pour une décision que, même aujourd’hui, je comprends toujours pas. Pour Manuel Lombardo, c’est une autre histoire. Je pense qu’il a été très contracté pendant toute la compétition et qu’il n’a pas pu démontrer sa valeur… En tout cas, sur cette olympiade, nous récoltons avec nos athlètes des médailles en championnats du monde séniors et juniors, en Grand Chelem, en Grand Prix, aux Europe -23 ans, aux championnats d’Europe juniors… Beaucoup d’entre eux sont très jeunes et iront au moins jusqu’à Los Angeles. Quant à nos athlètes, malgré l’absence de médaille à Paris, je pense que cette période olympique a été très bonne.
Quid au niveau de l’équipe nationale, dont tu es l’un des entraîneurs ?
Les Jeux de Tokyo avaient permis des résultats jamais atteints par notre Fédération. Depuis il faut savoir que pour la première fois, en seulement trois ans et non quatre, nous avons remporté l’or dans tous les types de championnats : championnats d’Europe et du monde cadets, championnats d’Europe et du monde juniors, championnats d’Europe des -23 ans, championnats d’Europe et du monde séniors, Jeux olympiques. Nous avons qualifié treize judokas aux JO, là où notre record était de neuf.
Quels sont les objectifs fédéraux pour le nouveau cycle olympique ?
Nous voulons améliorer la décentralisation de l’entraînement qui a été l’une des clés du succès de ce cycle olympique.
Et quel regard portes-tu sur les réformes arbitrales souhaitées par la plupart des acteurs du milieu ?
A mon avis, je pense qu’il faut revenir à l’attribution de waza ari comme dans l’ancien temps et, pour tout, le reste il est préférable d’attribuer yuko. De même, pour certaines pénalités, il est préférable de changer : la saisie non conventionnelle doit être sanctionnée dans un maximum de trois secondes si Tori n’attaque pas ; en séniors uniquement, il est préférable d’annuler la sanction pour « tête la première ». Enfin, si la fausse attaque doit être punie, nous devons trouver un moyen de la distinguer d’une attaque faible.
Quelles nations te semblent aujourd’hui les plus intéressantes à suivre ou à entraîner lors du prochain cycle olympique ?
Je pense qu’avant les Jeux de Los Angeles, de nombreuses nations vont être intéressantes à observers. Je pense à l’Ouzbékistan et à la Géorgie qui, dans le passé, ont obtenu de très bons résultats chez les hommes, mais qui travaillent aussi de plus en plus chez les femmes. Et quand je dis « travailler », je veux dire travailler sur le judo féminin interne et non pas « acheter » des judokas d’autres nations. Le Turkménistan et le Tadjikistan eux-aussi augmenteront certainement leurs résultats. Et n’oublie pas les États-Unis qui, j’en suis sûr, investiront beaucoup d’argent pour développer leurs judokas sur le chemin des Jeux olympiques à domicile.
À Bardonecchia, l’après-dîner est souvent l’occasion de moments très privilégiés avec les champions. Cela permet de mieux comprendre l’évolution du monde du judo. Que retires-tu de toutes ces conversations ? Peut-être par exemple que cela t’a aidé à comprendre assez tôt que le système des grandes nations (Japon, France, Russie…) était sur le point de décliner et que les « petites » nations étaient en train de se développer…
Question intéressante. Lors de chaque édition du camp de Bardonecchia, j’ai effectivement la possibilité de partager quelques jours, également avant ou après le camp, avec un ou plusieurs grands champions. Je me souviens de nombreux moments sur le tatami ou lors de la troisième mi-temps. Je me souviens de conversations sur le développement des judokas des cadets aux seniors avec l’Allemand Richard Trautmann à Bar Sport lors des premières éditions à Gressoney. J’ai partagé aussi beaucoup de moments amusants avec Lipo et Avto [les Géorgiens Varlam Liparteliani et Avtandili Tchrikishvili, NDLR] pendant le camp et aussi lors de notre visite à Milan ; je parle avec la Canadienne Christa Deguchi de la cuisine italienne et de la façon de faire mieux ; j’ai un beau moment lors de notre visite à Venise avec la légende coréenne Mister Jeon et je peux continuer ainsi pendant des heures…
Y’a-t-il un dénominateur commun entre toutes ces personnes et tous ces moments ?
Tous les grands champions qui séjournent à Bardonecchia sont, avant tout, de grands hommes ou de grandes femmes. Je connais certains d’entre eux depuis leur enfance – je pense par exemple aux deux championnes olympiques slovènes Urska Zolnir et Tina Trstenjak – ou parce que je les ai rencontrés en tant qu’entraîneurs autour du monde, ou simplement parce qu’ils sont des athlètes qui se battent contre mes athlètes. En tout cas tous abordent le camp avec une attitude exemplaire pour montrer à chacun des participants leur façon de faire du judo.
Surtout après les séances, j’ai l’occasion de discuter de beaucoup de choses et grâce à leurs explications, je peux apprendre beaucoup de choses sur le judo dans leur pays ou sur le système de préparation des athlètes de haut niveau. Pour moi, c’est chaque année la meilleure occasion d’apprendre non seulement sur le tapis, mais aussi en dehors du tapis. Ce sont les vacances, c’est vrai, mais c’est une école extraordinaire.
Cette année 2024, vous recevrez Christa Deguchi pour la deuxième fois et un autre Canadien du Japon, Kyle Reyes, qui vient de se classer troisième en -100 kg au Grand Chelem de Tokyo. Si les champions reviennent voire qu’ils ramènent au passage un ou une compatriote la fois d’après, c’est que la première expérience a plutôt été bonne…
Les champions aiment rester et reviennent à Bardonecchia, à la fois pour l’atmosphère et pour les gens qui les aiment. L’Allemand Ole Bishof est venu pour la première fois en 2010 après avoir remporté le titre olympique de 2008. Je plaisantais avec lui et je lui ai dit : « Quand tu gagneras une autre médaille olympique, tu devras revenir ici ». Je l’ai appelé après la finale de Londres et il est revenu à Bardonecchia en 2013… Même chose pour Christa : après son premier Bardonecchia en 2022, je lui ai dit qu’elle pouvait revenir après avoir gagné les Jeux Olympiques et que la tradition se poursuivrait. Et c’est précisément ce qu’elle fait cette année !
En ce qui concerne l’ancien champion d’Europe Tommy Macias, est-il le premier à venir de Suède ?
Oui, Tommy sera le premier Suédois. Je le connais depuis qu’il est junior et qu’il affrontait mes judokas, puis plus tard en senior quand il combattait contre Fabio Basile. Nous avons travaillé avec lui à l’Akiyama pendant un certain temps et notre équipe est sûre qu’il sera « le bon homme au bon endroit » cette année à Bardonecchia.
Qu’est-ce qui te rend le plus fier : de voir une de tes filles sur le tapis aux Jeux Olympiques ou de mettre tant d’enfants et d’adultes en contact avec de grands champions et d’autres nationalités au fil des ans ?
Ce sont deux sensations complètement différentes. Voir ma fille combattre à Paris a été l’un des moments les plus excitants de ma vie et le fait d’avoir avec nous ma femme Monica et ma fille aînée Elisa complète le cercle. D’un autre côté, voir chaque année un millier de personnes partager le même tapis que de grands champions et les voir grandir d’année en année est également très gratifiant. Et ça dure depuis 1996 !
Si le Raffaele de 2024 pouvait donner des conseils au Raffaele qui a eu sa première ceinture blanche il y a presque cinquante ans maintenant, que lui dirait-il ?
Si j’ai l’occasion de conseiller le jeune Raffaele, je lui dirais : « Reste fort dans tes objectifs, parle avec tout le monde, apprend de tout le monde et crois en ton travail parce que, à la fin, la vie te le rend au centuple ». – Propos recueillis par Anthony Diao, printemps-automne 2024. Montages photos : Thomas Eustratiou-Diao. Photo d’ouverture : Gabriela Sabau/IJF via JudoInside.
Une version en anglais de cet entretien est à lire ici.
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