Teddy Riner/Valentin Houinato – Deux dojos, deux ambiances

Teddy Riner et Valentin Houinato ont, chacun dans son registre, fait l’actu du judo post-JO en ce début de printemps 2025. Deux dojos, deux ambiances. – JudoAKD#033.

 

 

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À main gauche, Teddy Riner, trente-six ans ce 7 avril. Cinq titres olympiques individuels et par équipes mixtes. Onze titres mondiaux. Cinq titres européens en autant de participations. Douze saisons invaincu sur les quinze dernières passées sur le circuit. Samedi 5 et dimanche 6 avril, le +100 kg lance en grande pompe la Riner Cup. L’évènement est organisé à la bien nommée Arena Teddy Riner d’Asnières-sur-Seine, dans les Hauts-de-Seine. Ces deux journées se veulent l’épisode pilote d’un feuilleton à vocation XXL ambitionnant de fédérer autour d’un slogan en mode Pierre de Coubertin augmenté : « Participer, c’est déjà gagner. »

À main droite, Valentin Houinato, vingt-huit ans depuis le 15 octobre. Dans les mois précédant les JO de Paris, ce judoka aspirant journaliste avait tenu pour France Inter La Prépa, une chronique radio sur sa lente montée en compétence jusqu’aux Jeux où, résidant et s’entraînant sur sa terre maternelle française, il allait se qualifier en -81 kg pour défendre les couleurs de son Bénin paternel – une thématique de la double nationalité qui sonne familière à beaucoup ces dernières années.

Huit mois après la cérémonie de clôture des JO, c’est peu de dire que la trajectoire des deux hommes suit deux courbes aux directions bien différentes. Pour Teddy Riner, ce sont d’abord des vacances réparatrices pour récupérer, selon le site JudoInside, de la deuxième saison la plus chargée en combats internationaux de sa carrière après 2008, dont les sept combats en deux jours enquillés les 2 et 3 août pour parachever, à trente-cinq ans bien sonnés, le tout premier doublé olympique de ses deux prolifiques décennies sur la brèche. Il y a ensuite une Coupe d’Europe par équipes mixtes de clubs en décembre à Montpellier, remportée au métier avec le PSG Judo en ne renfilant qu’en finale, à titre individuel, le judogi. Il y a encore une intervention chirurgicale au coude droit début janvier, et puis ces quelques déclarations assumées sur des faits de société comme la vie chère aux Antilles, la baisse du budget des Sports ou le port du voile dans le cadre sportif. Chacune lui vaut de trender quelques heures de loin en loin sur X – ainsi va l’époque, friande de polémiques ponctuelles et de clivages suramplifiés en fonction de la personne qui l’incarne mais qui, mis bout à bout et pour paraphraser le cinéaste Terrence Malick, n’aident finalement guère « l’herbe à pousser ni le soleil à briller ».

En parallèle, Valentin Houinato connaît de son côté un automne en pente dure et un hiver mentalement et physiquement caniculaire. C’est ce qu’il confie fin mars 2025 à l’hebdomadaire français L’Équipe magazine, sous la plume de Cléa Lepesqueux, quelques semaines après s’en être ouvert une première fois à Maxime Baron du quotidien Ouest France. Au cœur de l’impasse Désillusion où semblent domiciliées les pages dans lesquelles se confie le sociétaire de Maisons-Alfort, le retour de bâton terrible qui frappe la plupart des judokas non médaillés dans les semaines, les mois voire les années qui suivent la redescente de l’Olympe. Côté pile, une hype d’une saison – éphémère, donc, au regard d’une existence entière -, en amont du jour J. L’impression prometteuse d’être un être, un protagoniste à la façon du personnage incarné par John David Washington dans le Tenet de Christopher Nolan, le tout sur deux fronts, le judo et le journalisme. Côté face, la prise de conscience – d’autant plus terrifiante qu’elle arrive a posteriori – de n’avoir peut-être été qu’un chiffre au milieu du nombre. Un participant qualifié, préparé, annoncé mais très vite éliminé comme, toutes disciplines confondues, les JO d’été et leur ADN darwiniste en charrient par milliers depuis 1896. Mais aussi un journaliste qui découvre que sans sa carte Gold spécifique de judoka en quête de Jeux il présente soudain moins d’intérêt aux yeux de la profession, une fois lesdits Jeux passés. Une double carrière comme un pistolet à un coup. « On se croit mèche, on n’est que suif » disait Jacques Brel dans ‘Voir un ami pleurer’.  La claque est violente – et les photos d’Etienne Garnier en traduisent le travail de sape en l’espace de quelques mois jusque sur le langage corporel de l’intéressé. Courir deux lièvres à la fois ne garantit toujours pas de devancer les tortues.

À quelques kilomètres de là mais à des années-lumière en réalité, c’est l’expression d’une volonté de « rendre à [son] sport un peu de ce qu’il [lui] a donné » qui prédomine du côté de l’hôte d’Asnières. Deux jours de combats des cadets aux séniors avec l’ancien footballeur Djibril Cissé aux platines de DJ et pas mal de champions français et étrangers venus apporter une caution sportive de prestige à cette première qui en appelle d’autres, dans l’esprit conquérant de son fondateur. Un évènement comme un jalon pour une après-carrière d’autant plus riche de perspectives que le sillon tracé en vingt saisons on the road aura été profond.

Dans son court essai Le Soin est un humanisme, paru en 2019, la philosophe et psychanalyste française Cynthia Fleury écrit les lignes suivantes : « L’expérience, c’est ce qui nous protège de la fascination pour la certitude, c’est ce qui nous fait comprendre que connaissance, incertitude et faillibilité travaillent de concert, et l’obligation d’expérience, de vivre le savoir, de le ressentir, de l’expérimenter, de tenter de le reproduire, nous permet de consolider des étapes malgré un sol plus que mouvant. ‘Il faut prendre soin des conséquences, veiller à elles‘, nous prévient John Dewey. Une action dont on ne considère pas les conséquences ne nous livre en elle-même aucun enseignement. Et les conséquences sont dépourvues de signification tant qu’elles ne sont pas rapportées à l’action qui en est à l’origine. L’ensemble formé par l’action et ses conséquences, seul, constitue une expérience. Il ne suffit pas de faire une expérience : pour ‘avoir de l’expérience‘ dirait-on trivialement, il faut avoir vécu, c’est-à-dire qu’il faut aussi avoir souffert, avoir enduré les conséquences de ce qu’on fait. ‘Ce rapport étroit entre faire, souffrir et subir forme ce que l’on appelle expérience. » C’est, paradoxalement, dans les rares échecs de la longue carrière d’un Teddy Riner et la façon dont il les a surmontés et les transcende encore au point d’en faire aujourd’hui un levier contagieux que Valentin Houinato saura sans doute, comme beaucoup d’autres, puiser ici motif à espérance. Anthony Diao, printemps 2025. Photos d’ouverture : Paco Lozano. Montage : Thomas Eustratiou-Diao/JudoAKD.

 

 

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