Vitalie Gligor – « La route prend celui qui marche »

Né le 17 février 1974 à Chisinau (URSS jusqu’en 1991, Moldavie depuis), Vitalie Gligor est une de ces précieuses rencontres que permet le bouche-à-oreille judo. Elle remonte à l’automne 2023, à l’occasion d’un extraordinaire échange avec le trop rare Andrzej Sadej de Judo Canada. Le sujet de départ concernait le développement au long terme des athlètes. De fil en aiguille, la conversation avait roulé sur un autre domaine d’expertise de l’ancien international polonais : le judo paralympique. En la matière, les termes d’intégrité, d’altruisme et de consistance sont presque des passages obligés. Or, sur ces terrains-là, le nom de Vitalie Gligor apparaît très vite incontournable. C’est ce que confirmeront nos premières discussions quelques semaines après.

Visage émacié, propos tranchés, l’homme n’a jamais lâché son ami d’enfance Oleg Cretul (Kretsul du temps de leurs années communes sous les couleurs de la Russie), malgré le tragique accident de voiture ayant conduit le titulaire moldave des -78 kg aux JO d’Atlanta et dauphin du Français Djamel Bouras en finale des championnats d’Europe 1996 à perdre, neuf jours après son mariage, sa femme, son beau-frère et, malgré trente jours de soins intensifs, la vue.

Dix mois et bien des conversations plus tard, une enquête paraissait dans le quotidien français Libération, consacrée au patient chemin de droiture de personnes telles que l’entraîneur moldave face aux « faux malvoyants » et aux « vrais tricheurs ». Au dernier soir des Jeux paralympiques de Paris, une poignée de mains au pied des tribunes et une promesse : celle de prendre le temps de faire découvrir au plus grand nombre une trajectoire et un regard rares, marqués par une longue séquence en Russie et une trajectoire faite de convictions et, forcément, d’adaptation. Près d’une année a passée depuis cet engagement. Nous y sommes. – JudoAKD#039.

 

 

 

 

 

Une version en anglais de cet entretien est disponible ici.

 

 

 

Paris, 7 septembre 2024, quelques secondes avant de convenir ensemble du principe du présent entretien. À gauche, aux côtés d’Ion Basok, tout frais médaillé d’argent et meilleur résultat de l’histoire du sport paralympique moldave, Irina Staheeva, vice-présidente du Comité paralympique moldave, Oleg Cretul, médaillé de bronze et président dudit Comité, et Denis Turcan, ancien judoka devenu administrateur de la Fondation internationale Oleg Kretsul. ©Facebook Oleg Cretul/JudoAKD

 

 

 

Nous sommes fin septembre 2024 au moment où débute cet entretien, comme nous l’avions convenu aux abords de l’Arena Champ de Mars au soir de la dernière journée des Jeux paralympiques. Comment vas-tu, trois semaines après la fin de cette épreuve ?

Après les Paralympiques, nous avons eu encore dix à quinze jours d’attention médiatique et de rencontres officielles. La tension pendant la préparation pour les Paralympiques puis l’épreuve en elle-même ne peuvent être comparées à aucune autre compétition. Tu ressors de là psychologiquement épuisé car tu réalises que quatre années de travail viennent de se jouer. La fatigue se manifeste sous forme d’apathie envers tout – le travail, le sport, et même tes proches.

 

Es-tu fier de tes athlètes ?

Je suis satisfait du résultat, bien que je réalise que nous méritions mieux. Je suis particulièrement fier de la performance d’Oleg Cretul… J’aimerais souligner sa volonté, qui n’appartient qu’aux vrais champions. Son tirage au sort était terrible : en plus d’Oleg, qui est multiple champion du monde, d’Europe et paralympique, il y avait sur la route de la finale le Français Cyril Jonard (champion du monde 2022 et champion paralympique 2004), l’Iranien Mousa Gholamishafia, champion du monde 2023, et le Britannique Daniel Powell, médaillé d’argent aux championnats du monde 2022 et d’Europe 2023. Face à une telle opposition, chaque rencontre était une finale avant la lettre. D’entrée, Oleg a dû affronter Cyril Jonard, qui a toujours fait montre d’une force incroyable et d’une bonne préparation physique.

 

Et qui évoluait devant son public !

Effectivement : ajoute à cela ce soutien fou venu des tribunes, mais aussi le fait qu’Oleg avait eu des signes d’une maladie virale la veille de son entrée en lice et que son état n’était pas très bon. Le combat a duré presque huit minutes. Il l’a tellement épuisé qu’après avoir quitté le tapis, j’étais sûr qu’Oleg ne pourrait pas continuer la compétition à cause de son état de santé, car il perdait presque connaissance… Mais il ne voulait pas abandonner. Malgré mes supplications. Car, moi, j’avais littéralement peur pour sa vie.

 

À ce point ? Il a pourtant continué et s’est même hissé sur le podium…

Oui il a réussi à vaincre un Irakien puis le champion du monde iranien et, par la seule force de sa volonté, un athlète de Turquie qu’il a projeté pour ippon. Cette médaille de bronze était probablement le trophée le plus difficile de sa carrière… Je suis fier du caractère d’Oleg et de sa technique éclatante.

 

Un autre de tes athlètes a terminé médaillé ce 7 septembre…

Oui, Ion Basok. Pour être objectif, il a eu plus de facilités à se qualifier pour la finale des Jeux.  J’attendais davantage de lui dans le combat final mais cela reste le plus beau résultat de la Moldavie au niveau paralympique, tous sports confondus. Après, dans la vie, je remercie toujours sincèrement Dieu pour tout ce qu’il donne. Lui seul sait à quel point nous méritons !

 

 

 

Paris, 7 septembre 2024. En route pour la finale paralympique des +100 kg avec le J1 Ion Basok, vingt-six ans – « [Dieu] seul sait à quel point nous le méritons ! » ©Facebook Oleg Cretul/JudoAKD

Qu’as-tu appris en tant qu’entraîneur et en tant qu’homme pendant ce dernier cycle paralympique ?

Ce cycle m’a confirmé des choses très importantes dont j’avais l’intuition depuis un moment, mais jamais aussi profondément. Pour réussir, il est nécessaire de créer une atmosphère positive, amicale et de confiance dans l’équipe, tout en maintenant une discipline de fer. Il est aussi nécessaire de chercher une approche individuelle pour chaque athlète. Comprendre ce qui les motive et comment renforcer cette motivation, au besoin par l’exemple, pour un engagement maximal de leur part.

Après Paris, les athlètes soignent leurs blessures… Certains ont besoin de subir une opération, d’autres ont besoin d’une longue rééducation et de récupération. Jusqu’en 2025, les médaillés de Paris auront un programme d’entraînement individuel et ne viendront au gymnase que s’ils le souhaitent. Il est très important de leur donner du repos complet, près de leur famille, avec des stages de récupération, afin qu’ils soient forts et désireux de recommencer le marathon de quatre ans dont l’arrivée cette fois sera à Los Angeles. Pendant cette période, l’accent devrait être mis sur les athlètes qui n’ont pas participé aux Jeux de Paris.

 

Et toi, comment tu vis cette période ?

Moi aussi, en tant qu’être humain, j’ai besoin de repos, avec la possibilité d’analyser toutes les erreurs de mon entraînement. Dans l’absolu, j’aimerais consacrer cette période de récupération à ma famille tout en faisant des projets pour l’avenir. J’ai toujours eu des idées de travailler dans un autre pays, là où les conditions nécessaires au développement du parajudo sont créées.

 

C’est plus compliqué en Moldavie ?

En République de Moldavie, où le parajudo n’existait pas jusqu’en 2018, nous avons dû construire de zéro un système qui permet ce développement, depuis la création de la Fédération de handi judo et la direction du Comité paralympique jusqu’au changement de la législation au niveau du gouvernement. Il faut reconnaître que la situation dans le pays évolue chaque jour pour le mieux et cela est dû aux succès de nos athlètes ainsi qu’à la coopération étroite avec le gouvernement. Les dirigeants du pays sont intéressés par le développement du mouvement paralympique en Moldavie. Je prendrai une décision plus tard, après avoir analysé toutes les circonstances. L’essentiel, dans le contexte régional actuel, est qu’il y ait la paix.

 

 

Ce ne sont pas tes premiers Jeux paralympiques. Quelles ont été les principales différences entre Paris 2024 et les précédents ?

Ce sont mes cinquièmes Jeux paralympiques et il y a beaucoup de comparaisons à faire. Pour moi, la différence est surtout que, sur ces Jeux comme sur ceux de Tokyo en 2021, je suis venu non seulement en tant qu’entraîneur, mais aussi en tant que premier vice-président du Comité paralympique de Moldavie. C’est-à-dire que j’étais à la fois l’un des dirigeants de l’équipe nationale et mais aussi l’une des personnes engagées dans l’organisation de la participation de notre équipe commune à Paris. Organiser un événement d’une telle ampleur nécessite le travail coordonné d’un grand nombre de personnes. Naturellement il y a des lacunes, mais elles pouvaient difficilement affecter le sentiment de fête à Paris. Et ce qui était particulièrement mémorable, c’était l’incroyable soutien des tribunes bondées ! Je n’ai jamais vu un tel soutien des spectateurs auparavant ! On sent que les Français connaissent le judo et que le judo est très populaire en France !

 

En France justement, tout le milieu a été dévasté par l’annonce à l’automne de la disparition soudaine de l’entraîneur français Cyril Pagès, très impliqué lui aussi auprès des athlètes paralympiques – et qui m’avait longuement répondu quelques mois auparavant dans le cadre de l’enquête pour Libé. Vous vous connaissiez bien ?

Et comment… Pour moi, Cyril restera toujours cette personne souriante, bien élevée, positive et toujours sincère. Je ne me souviens pas de la première fois où nous nous sommes rencontrés. Je sais juste qu’il était mon lien avec l’équipe nationale française. Il parlait un peu anglais, je discutais souvent avec lui et je sentais que nous avions beaucoup de choses en commun… Il était souvent sur la chaise des adversaires de mes athlètes. Lorsqu’il s’inclinait à la fin d’un match, il me serrait la main sincèrement et très respectueusement, quelle que soit l’issue du combat. Je l’ai également vu en randori avec Hélios Latchoumanaya lors de camps d’entraînement. On sentait que c’était un athlète de haut niveau, ce qui ajoutait au respect qu’il inspirait en tant que judoka… Son sourire et son cœur ouvert sont impossibles à oublier… Cyril était sur la chaise de Cyril Jonard à Paris, lors du combat entre Jonard et Oleg Cretul. La dernière fois que je l’ai vu, c’était au village paralympique ce soir-là, lorsqu’il est allé dîner avec Jonard après la compétition. Je les ai sincèrement félicités tous les deux pour leur médaille de bronze. Cyril traduisait à Jonard en montrant sur ses doigts le langage des signes pour les sourds-aveugles. Je ne sais même pas qui peut communiquer avec les sourds-aveugles à part lui dans l’équipe – je reste admiratif de sa capacité à travailler avec des athlètes de ce profil… Il va sincèrement me manquer. Je n’arrive pas à croire que je ne verrai plus ce visage souriant et cette personne au coeur léger dans l’équipe française…

 

Aux paralympiques, les entraîneurs sont bien plus que de simples entraîneurs. Peux-tu en dire plus sur la relation que tu as avec tes propres athlètes ? 

En travaillant avec des parajudokas, en particulier avec ceux qui sont totalement non-voyants, je me suis rendu compte que l’on ne s’appartient plus à soi-même… Vous ne pouvez pas planifier votre journée lors des camps d’entraînement et les compétitions sans coordonner et fournir à votre athlète tout ce qui est nécessaire. Imaginez une journée avec un athlète non-voyant et vous vous rendrez compte que vous êtes un accompagnateur dans le bon sens du terme.

 

C’est quoi la journée-type, dans cette configuration ?

Se réveiller et aller prendre son petit-déjeuner tout seul en buvant une tasse de café n’est pas une solution. Le matin, en plus de vos tâches, vous devez : aider si nécessaire à trouver ce qu’il faut ; puis aller au petit-déjeuner (et avant cela, aller à la pesée, si nécessaire) ; d’abord aller voir ce qu’il y a au buffet, obtenir ce que l’athlète veut (avec son corollaire fréquent : faire une longue queue pour un plat) ; puis aller chercher les boissons ; puis aller chercher le café ou le thé ; puis trouver les serviettes ou les ustensiles (cuillère, fourchette) ; puis l’athlète redemande un plat qu’il/elle a particulièrement aimé ; lorsque vous commencez à choisir les aliments du petit-déjeuner, l’athlète peut demander plus de fruits ; lorsque vous vous asseyez enfin pour manger, l’athlète demande un dessert, car le café devient froid ; puis il demande plus de café ; et lorsque vous vous asseyez pour manger, il/elle demande si je vais bientôt manger, car il/elle a mangé pendant longtemps et a envie d’aller aux toilettes [rires] ! Il en va de même pour le déjeuner et le dîner… Et je te laisse imaginer si tu as non pas une mais deux à trois personnes non-voyantes au total.

En fait tout le monde a besoin d’une attention constante : pour faire une promenade, pour laver le kimono, pour préparer l’alimentation sportive, pour aller au magasin (si vous avez le temps), juste pour discuter de quelque chose, et ainsi de suite [sourire]… Pendant les vols, il faut aussi accompagner les athlètes, charger et décharger leurs sacs, les emmener aux toilettes, les emmener faire des courses et essayer de leur expliquer ce qu’il y a dans les rayons, de quelle couleur c’est et si ça leur va (s’il s’agit de vêtements ou de lunettes par exemple, ou ce qui pourrait les intéresser d’autre). Bref, il faut avoir les nerfs solides [rires] ! Ils sont souvent très vulnérables, avec leurs propres particularités psychologiques et leurs traumatismes.

Bien sûr, il y a des querelles et des ruptures, parce que l’entraîneur a ses propres désirs et problèmes lui aussi… Mais avec le temps, on s’adapte, tout en se rendant compte que l’on donne à l’athlète ce qu’il y a de plus précieux : son temps. En gros vous ne pouvez vous reposer que lorsque vous revenez après la compétition, lorsque les athlètes rentrent chez eux – d’ailleurs, il est souvent nécessaire de les raccompagner chez eux [sourire].

 

 

 

« On tape toujours sur celui qui est droit. Les tordus, généralement, on les laisse tranquilles. » ©DR/JudoAKD

 

 

Tu es connu pour ton engagement pour des compétitions sans triche, ce qui t’a valu quelques inimitiés. Où en est cette cause, après Paris ?

Je suis en effet un opposant ardent à la manipulation dans le sport et un partisan de la compétition équitable. Ce n’est un secret pour personne que, dans le sport paralympique, il n’est pas rare que des documents médicaux soient falsifiés afin de passer l’étape de la classification médicale. J’en ai parlé ouvertement et plus d’une fois, y compris depuis la tribune de l’Assemblée générale du Comité international paralympique. Je crois que cet organisme, en tant qu’organisateur des Jeux paralympiques, est obligé d’empêcher la participation aux athlètes qui ne répondent pas aux critères de la classification médicale internationale. Pour moi le sport doit correspondre à un combat équitable. Et il doit toujours rester en dehors des enjeux politiques.

 

J’ai lu sur le site de l’Union européenne de judo que tu as débuté le judo à l’âge de neuf ans et as souffert d’une blessure grave à l’âge de dix-neuf. Qu’as-tu compris du judo au cours de ces premières années ? 

Mon initiation au judo a effectivement commencé à l’âge de neuf ans. C’était en 1983, en Union soviétique, où le sambo, la lutte libre et la lutte classique (aujourd’hui gréco-romaine) étaient populaires. Je ne connaissais en revanche pas grand-chose du judo. À cette époque, le karaté était interdit en Union soviétique et, pour moi comme pour beaucoup d’enfants, le judo en kimono blanc était quelque chose d’exotique, semblable justement à ce karaté qui paraissait si attrayant dans les films… Je suis venu trois fois au gymnase dans l’espoir de m’inscrire au judo, mais les entraîneurs ont refusé, m’informant qu’ils n’acceptaient que les enfants de dix ans et que je devrais revenir dans un an !

 

C’est marrant car un champion comme le Polonais Pawel Nastula s’est lui aussi entendu répondre la même chose au même âge !

C’était un vrai coup dur. Je suis rentré chez moi en larmes. Mais à la troisième fois, j’ai réussi à convaincre l’entraîneur que je ne voulais pas attendre un an et que je voulais commencer à m’entraîner maintenant ! Apparemment, j’étais très émotif et il m’a laissé entrer dans le gymnase, en me disant de ne le dire à personne [sourire]. J’ai commencé à progresser assez rapidement et, lors de la première compétition, j’ai remporté la première place, ce qui m’a donné confiance en moi. Depuis, je suis devenu accro comme un drogué à ces émotions de vainqueur !

 

Comment cela s’est-il enchaîné pour toi, ensuite ?

Au bout de trois ans de pratique, je suis entré à l’Internat sportif républicain, où les meilleurs athlètes de la République socialiste soviétique de Moldavie, l’une des quinze républiques de l’URSS, étaient admis. Ce fut l’une des charges physiques et psychologiques les plus difficiles de ma carrière sportive, car deux entraînements par jour (où les dix kilomètres de footing n’étaient souvent qu’un échauffement) + des exercices matinaux à 6 h 30 + six leçons par semaine, ne donnaient pas la possibilité de récupérer. L’organisme fatigué des enfants connaissait bien des défaillances. Il y avait souvent des blessures, ce qui ralentissait le développement de l’enfant, dont les performances en compétition s’en trouvaient amoindries. Ce n’est que quelques mois plus tard, après avoir quitté l’internat sportif, que j’ai de nouveau ressenti le désir de m’entraîner et que j’ai commencé à progresser. Pendant toute cette période, nous n’avons guère compris ce qu’était le judo. Nous ne le percevions que comme une sorte de lutte, sans comprendre toute la philosophie de cet art japonais. Ce n’est que bien des années plus tard, lorsque je suis devenu entraîneur, que j’ai commencé à découvrir ce type d’art martial et à le voir avec des yeux différents.

 

Et puis tu as eu cette grave blessure…

Effectivement. J’avais dix-neuf ans en 1993. C’est la période où l’Union soviétique s’est effondrée et que la Moldavie indépendante, comme toutes les républiques de l’Union soviétique, traversait une période très difficile : chômage, criminalité galopante, corruption dans toutes les structures du pouvoir et souvent famine. C’est à cette période que je me suis gravement blessé au genou lors d’une séance d’entraînement. J’ai dû subir une opération mais, à l’époque, c’était difficile à organiser et il n’y avait pas d’argent pour la financer. Je suis donc resté à la maison pendant deux semaines puis, petit à petit, en boîtant, j’ai commencé à venir à la salle de sport, mais seulement pour faire de l’entraînement physique. Ce n’est qu’un an plus tard que je suis retourné sur le tatami. Mon genou m’a toujours gêné depuis – et il me gêne aujourd’hui encore.

 

Tu as quand même gardé un pied dans le haut niveau…

À l’âge de vingt-deux ans, je venais régulièrement m’entraîner. J’étais le partenaire d’Oleg Cretul lorsqu’il se préparait pour les Jeux olympiques d’Atlanta. En 1996, j’ai réussi à participer à des tournois internationaux de catégorie A à Prague et à Varsovie. Malheureusement je n’évoluais pas dans ma catégorie de poids des -71 kg, mais en -78 kg. Et je n’ai pas eu beaucoup de succès.

 

C’était quoi ton état d’esprit, à l’époque ?

Le judo était ma passion, mais je m’entraînais sans entraîneur personnel et j’apprenais en me basant sur ce que je voyais des autres. Aujourd’hui, je me rends compte que ce fait m’a en partie empêché, comme beaucoup d’autres athlètes, de réaliser et de comprendre pleinement la signification profonde du judo.

 

 

Budapest, juin 2025. Retrouvailles en tribunes en marge des championnats du monde entre Djamel Bouras et Oleg Cretul, vingt-neuf ans après s’être affrontés en finale des championnats d’Europe 1996 de La Haye, remportés par le Français deux mois avant son titre olympique d’Atlanta. ©Facebook OC/JudoAKD

 

Tu dis aussi que l’accident de voiture d’Oleg Cretul a été un tournant pour toi. Qu’aurait été ta vie sans ce point de bascule ?

Resituons le contexte. Après les Jeux olympiques d’Atlanta, Oleg et moi tentons de nous lancer dans les nouvelles réalités de l’économie de marché sauvage du pays. La tromperie et la fraude sont monnaie courante. Les hommes d’affaires sont souvent en cheville avec des bandes criminelles. Nous mêmes entrons plus d’une fois en conflit avec diverses bandes criminelles, simplement pour défendre les intérêts de notre entreprise naissante. C’est une époque très difficile. Les lois ne fonctionnent pas vraiment. Le crime et la corruption sont la norme… J’ai souvent discuté avec Oleg de ce qu’il se serait passé s’il n’avait pas eu cet accident. Étant donné qu’Oleg a toujours été peu diplomate et très audacieux, nous admettons tous les deux qu’il est fort probable que nous n’aurions pas survécu jusqu’à aujourd’hui. En gros, soit nous aurions été victimes d’un gang criminel, soit nous aurions dû émigrer à l’étranger, comme tant de nos concitoyens, pour chercher une vie meilleure. Travailler en Russie s’est avéré une occasion de survivre à ces temps difficiles pour la Moldavie.

 

Que connaissais-tu du sport paralympique avant de t’occuper de ton ami ? 

En 1997, presque six mois avant l’accident, Oleg rapporte des T-shirts des Championnats d’Europe des jeunes d’Odivelas. Ces T-shirts portent la photo de deux judokas avec une ceinture sur les yeux (ce qui n’est pas très frappant), et en bas il y a une inscription : Judo European Championships, defectos visuales. Nous réalisons alors qu’il s’agit d’une compétition pour les personnes malvoyantes. Nous en rions sur le moment, ne comprenant pas comment les malvoyants pouvaient lutter. D’autant qu’en distribuant ces T-shirts, ils n’expliquent pas à ceux à qui ils les donnent qu’il s’agit vraiment de T-shirts de compétitions de judokas aveugles. Et puis six mois plus tard, Oleg a son accident et perd la vue.

 

Et vous repensez à ces T-shirts…

Même pas. Nous ne nous souvenons de ces T-shirts que trois ans plus tard, lorsque nous recevons une invitation du Comité olympique de Moldavie – il n’y a pas de Comité paralympique en Moldavie à l’époque – avec le programme des Jeux paralympiques de 2000 à Sydney où, entre autres disciplines, il y a du judo pour les personnes malvoyantes. Cette nouvelle est le point de départ de notre vie et de notre carrière paralympiques. Nous n’allons pas à Sydney pour autant car Oleg n’a pas participé aux compétitions de qualification, et ce bien que nous ayons obtenu une accréditation pour moi en tant qu’entraîneur. Ayant commencé à travailler avec des athlètes paralympiques, je change radicalement d’attitude sur de nombreux points.

 

Lesquels ?

Déjà, je ne les perçois pas comme des personnes en situation de handicap, mais comme des athlètes. Je réagis très vivement si je ressens de la discrimination à leur égard. Eux, en retour, m’apprennent à profiter de la vie quelles que soient les circonstances. Souvent aussi, dans des situations difficiles, ils sont une source de motivation et de soutien psychologique pour moi. Je n’aime pas que les gens fassent ouvertement preuve de pitié à leur égard et essaient de leur donner « un poisson au lieu d’une canne à pêche ».

 

Grand Prix de Rio de Janeiro, mars 2016. Les inséparables, du temps des années russes. ©Facebook Vitaly Gligor/JudoAKD

 

Tu connais également une longue expérience en Russie. Comment cela se passe pour toi côté paralympique, ces années-là ? Est-ce que c’est très différent de ce que tu connaissais alors en Moldavie ?

Je travaille avec l’équipe nationale paralympique russe de 2001 à 2018. À partir de 2004, je gère pratiquement le processus d’entraînement de l’équipe nationale russe et, fin 2011, je deviens l’entraîneur principal de l’équipe nationale masculine russe. C’est une occasion unique d’acquérir une expérience inestimable, sur laquelle je m’appuie encore aujourd’hui. Grâce au soutien de Sergey Soloveychik, alors président de l’UEJ, je commence en 2007 à faire participer les dirigeants de l’équipe nationale paralympique à des stages d’entraînement avec des judokas olympiques. J’acquiers une grande expérience en organisant ces stages d’entraînement sous la direction de l’entraîneur principal Sergey Tabakov dans le Caucase, dans le village de Terskol, lorsque Tagir Khaibulaev, Ivan Nifontov, Mansur Isaev et d’autres athlètes qui ont plus tard apporté la gloire au judo russe étaient encore de très jeunes athlètes. Cependant, la véritable découverte pour moi a été le camp d’entraînement avec l’équipe olympique russe sous la direction d’Ezio Gamba.

 

C’est-à-dire ?

Ezio pour moi est un homme fanatiquement dévoué au judo. Pour lui, le judo est le sens de sa vie ! J’ai beaucoup appris de son entraînement et je l’applique aujourd’hui à l’entraînement de mes athlètes. En 2012, je participe avec Oleg, devenu Oleg Kretsul, au dernier stage d’entraînement de l’équipe nationale russe avant son départ pour les Jeux olympiques de Londres. Je voulais comprendre comment Gamba complète la préparation pour les Jeux olympiques. Beaucoup de choses sont nouvelles et très instructives pour moi. Je me souviens de la phrase d’Ezio lorsque nous avons discuté avec lui de ce sur quoi il met l’accent dans la phase finale de l’entraînement, ce à quoi il a répondu : « la chose la plus importante est que l’athlète soit frais et dispo avant le départ. »

 

Qu’apprends-tu d’autre à son contact ?

J’ai analysé ses plans d’entraînement, mais pour comprendre en profondeur son système d’entraînement, il faut parcourir l’ensemble du cycle d’entraînement de quatre ans de cet entraîneur de génie. Un autre point fort d’Ezio est qu’il est un excellent psychologue, capable de fédérer une équipe multinationale et d’en devenir un ami proche, tout en maintenant une subordination et une discipline de fer. J’ai même discuté avec lui de la possibilité d’unir les équipes olympiques et paralympiques de judo, et il était prêt à le faire, mais les dirigeants de la Fédération russe des sports pour malvoyants étaient jaloux de cette idée… Travailler en Russie m’a aussi permis de comprendre comment différentes structures interagissent : le ministère des Sports, la Fédération, le Comité paralympique, le centre d’entraînement de l’équipe nationale et d’autres structures impliquées dans la création de conditions pour un entraînement optimal des athlètes.  Bien sûr, la Russie a une échelle différente et de grandes opportunités.

 

Paris, 5 septembre 2024. Aux côtés de la -57 Ina Cerni, première féminine de l’histoire du judo paralympique moldave, engagée en J1. ©Facebook Oleg Cretul/JudoAKD

 

En 2018, tu reviens en Moldavie…

Effectivement, de retour en Moldavie, nous essayons de commencer à développer le parajudo, mais nous rencontrons un manque de compréhension dans de nombreuses organisations sportives.

 

Comment ça ?

Nous devons construire à partir de zéro une structure qui nous permettra de créer une base pour son développement dans le pays. Pour le développement d’une nouvelle discipline, j’ai besoin d’un leader qui pourrait attirer l’attention des structures de l’État grâce à ses résultats.

 

Oleg Cretul ?

Ce leader pourrait effectivement être Oleg Cretul, mais il est épuisé. Il est épuisé à la fois par de nombreuses années de travail acharné puisqu’il a été le leader de l’équipe nationale russe pendant quinze ans, étant le seul judoka masculin champion paralympique, quatre fois champion du monde et trois fois champion d’Europe. Il est aussi terriblement déçu après la suspension injuste (Oleg n’a jamais rien pris d’interdit !) ayant empêché l’équipe paralympique russe de participer aux Jeux paralympiques de Rio 2016. Alors, en 2017, il décide de mettre fin à sa carrière sportive et, sur la forte recommandation d’un cardiologue (Oleg était inscrit chez un cardiologue depuis 2010 en raison d’une pression artérielle élevée), il entame un long processus de rééducation et de récupération.

 

Et pourtant il va reprendre…

Oui car je réussis à convaincre Oleg d’essayer de passer à un autre cycle de quatre ans et de se produire à Tokyo en tant que membre de l’équipe nationale de Moldavie. Je lui suis très reconnaissant de cette décision difficile, compte tenu du fait qu’Oleg a déjà quarante-deux ans à l’époque et qu’il avait dans son « bagage » un grand nombre d’opérations chirurgicales, de blessures et de problèmes liés au système cardio-vasculaire. Nous décidons également de le nommer au poste de président du Comité paralympique moldave, sachant qu’en gérant efficacement cette organisation, nous pourrions contribuer au développement du judo paralympique. Oleg devient donc président et moi premier vice-président du Comité paralympique de Moldavie, sachant qu’il me faut beaucoup de travail pour développer l’organisation, étant donné qu’Oleg est aveugle et qu’il est également un athlète en activité.

 

Comment tout cela se concrétise-t-il ?

L’expérience du travail en Russie nous a beaucoup aidés. Nous avons également créé la Fédération de handi judo, bien que nous ayons été confrontés à certaines difficultés et incompréhensions. Aujourd’hui, la structure créée donne des résultats tangibles : à Tokyo 2020, notre équipe paralympique de Moldavie était représentée par six athlètes dont deux judokas (Oleg Cretul et Ion Basoc, septième). À Paris 2024 il y avait cinq athlètes dont trois judokas. Dont une femme, qui plus est – pour la première fois dans l’histoire de la Moldavie. Et pour la première fois dans l’histoire des Jeux paralympiques, notre athlète Ion Basoc remporte une médaille d’argent, et Oleg Cretul une médaille de bronze, lui qui s’était jusqu’ici illustré sous les couleurs de la Fédération de Russie. Dans toute l’histoire, nos athlètes paralympiques n’ont remporté que deux médailles de bronze, en 1996 (tennis de table) et en 2000 (athlétisme)… Et tout ceci bien que la Moldavie ne dispose pas d’une seule base sportive pour les camps d’entraînement !

 

Cela semble loin d’être le seul problème qu’il a fallu résoudre…

En Moldavie, nous avons été confrontés à un grand nombre de problèmes, dont la solution reposait sur la législation nationale et l’absence de cadre réglementaire : le manque de médecins et de soutien médical aux équipes ; le manque d’entraîneurs, de psychologues, de conditions d’entraînement ; le manque de possibilités de se rendre à l’entraînement et bien d’autres… Mais nous vivons selon le principe « la route prend celui qui marche ». Aujourd’hui nous avons une coopération étroite avec les structures de l’Etat, le soutien de la présidence de la République de Moldavie et les lacunes de la législation sont progressivement éliminées. Aujourd’hui, six parajudokas participent aux championnats du monde et d’Europe et sont de véritables candidats à la participation à Los Angeles 2028.

 

 

 

Parenthèse perso avec une médaille de bronze aux championnats d’Europe vétérans de Sarajevo, en juin 2024. Devant sa femme et ses enfants – « C’était la première fois qu’ils me voyaient en compétition » déclare-t-il au site de l’UEJ. Montrer un chemin, toujours. ©Dino Secic – EJU/JudoAKD

 

 

Les sages disent que ce n’est qu’au moment du retour que les voyages commencent vraiment. Est-ce quelque chose que tu as ressenti à ton retour en Moldavie ? Qu’est-ce que tes années en Russie ont changé dans ta manière d’enseigner le judo et de diriger ton équipe ?

En Russie, je n’étais qu’entraîneur de l’équipe nationale – même si je devais résoudre un certain nombre de tâches organisationnelles. Je dépendais de décisions prises par des personnes éloignées du judo, souvent confrontées elles-mêmes à l’incompréhension des fonctionnaires de la Fédération et du ministère des Sports. En Moldavie, en plus d’entraîner l’équipe nationale, je gère également le processus de développement de la Fédération et du Comité paralympique. Cela augmente la quantité de travail, certes, mais ça simplifie aussi la prise de décision pour les tâches importantes – ce qui réduit donc considérablement le nombre d’émotions négatives [sourire]. En Russie, j’ai appris à gérer une grande équipe, à essayer de créer une équipe unie, à créer des cycles d’entraînement, à essayer les différentes méthodes d’entraînement les plus adaptées aux personnes malvoyantes, à interagir avec des personnes de cultures et de religions différentes. En Moldavie, il y a moins d’athlètes, ce qui nous permet d’accorder plus d’attention à chacun d’entre eux, mais il reste encore beaucoup de problèmes à résoudre et c’est le défi que nous relevons, ce qui rend le processus plus intéressant. Plus il y a de difficultés dans la lutte, plus la victoire sera belle !

 

Quels sont ces différents problèmes ?

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un certain nombre de challenges, dont beaucoup sont fantastiques. L’un d’entre eux est la construction d’une base sportive moderne accessible aux personnes en situation de handicap… Ce que nous avons réussi à réaliser en Moldavie peut devenir un exemple pour de nombreux pays qui, pendant de longues années, n’ont eu qu’un seul voire aucun judoka paralympique engagé dans les compétitions internationales. Cela nous conforte dans l’idée que tout est possible – et nous allons essayer de le prouver !

 

 

Tournoi A de Budapest, mars 1996. De gauche à droite : Oleg Cretul, Vitalie Gligor, Victor Florescu (futur vice-champion du monde 1999 dans la catégorie des moins de 90 kg) et Gheorghe Lozovanu, aujourd’hui entraîneur en Roumanie et très actif sur le circuit international des vétérans. ©Archives Vitalie Gligor/JudoAKD

 

En 2019 à Tokyo, j’ai eu la possibilité d’interviewer un autre Moldave de renom, l’ancien -66 kg Denis Vieru – avec le concours précieux de la Roumaine Andreea Chitu. Il m’expliquait qu’il avait un sparring qui lui était dédié au quotidien. Est-ce le modèle que tu appliques avec tes athlètes ?

Je me souviens de la période où je me suis rendu au camp d’entraînement de l’équipe moldave de judo sénior… C’était en 1990, je n’avais que seize ans et Oleg Cretul en avait quinze. Nous étions les partenaires des membres de l’équipe nationale et, en fonction du thème de la séance, nous ne faisions que tomber. Ainsi va le système de préparation des titulaires de l’équipe nationale avant les échéances importantes. Malheureusement, ce modèle est difficile à mettre en œuvre chez les athlètes paralympiques. Dans l’équipe olympique de Moldavie, quarante à cinquante personnes s’entraînent et les titulaires ont suffisamment de partenaires. Nous, nous avons notre propre calendrier de compétitions et nous nous entraînons selon notre propre plan, en fonction de nos étapes de préparation. Nous avons pensé à un entraînement commun, mais nous n’avons pas les mêmes étapes d’entraînement. Les objectifs des séances sont différents, le niveau d’entraînement de certains de nos athlètes ne correspond pas au niveau de l’équipe olympique et les spécificités du travail individuel avec les athlètes ne permettent pas une intégration totale dans l’entraînement de l’équipe nationale. Mais nous participons périodiquement à des combats randoris avec l’équipe nationale.

 

Comment ?

Les membres de l’équipe nationale veulent s’entraîner pour améliorer leurs résultats et souhaitent travailler avec des athlètes de niveau supérieur pour progresser. Ils ne sont pas très enclins à s’entraîner avec des athlètes paralympiques, car ils se rendent compte qu’ils ne travaillent pas pour améliorer leurs résultats, mais pour améliorer les résultats de l’athlète paralympique, et qu’ils ne progressent pas eux-mêmes.

Depuis 2007, grâce à l’aide de Sergey Soloveychik (ancien président de l’UEJ), j’ai participé à des camps d’entraînement conjoints avec des athlètes olympiques, mais seulement avec deux ou trois athlètes – Oleg et deux parajudokas malvoyants de haut niveau, qui n’avaient pas besoin d’être accompagnés. Depuis, nous avons participé à de nombreuses reprises à des camps d’entraînement internationaux dans le cadre du programme de l’UEJ – Going for gold. Malheureusement, je ne peux pas emmener toute l’équipe à ces camps d’entraînement, car le niveau d’entraînement de nombreux athlètes paralympiques ne correspond pas à celui des athlètes olympiques. Et ces derniers ne veulent souvent pas combattre avec des athlètes non-voyants.

 

Pourquoi ?

Il se peut qu’ils soient confrontés à certaines barrières psychologiques lorsqu’ils combattent avec des athlètes non-voyants. Ils peuvent avoir peur du jugement de leurs collègues s’ils combattent à pleine puissance, laissant souvent les paralympiens sur le carreau. Mais il n’est pas rare, notamment avec Oleg Cretul, que lorsqu’ils tombent après une attaque réussie d’un athlète paralympique et qu’ils essaient de se venger sans succès, un véritable combat sans compromis commence, et c’est ce dont j’ai besoin en tant qu’entraîneur. Même si, très souvent, je dois persuader les athlètes olympiques de mener un vrai combat sans céder au paralympien « par pitié », car il est très désagréable pour le paralympien de succomber à la pitié. Oleg, dans ses meilleures années (2004-2009), s’est très dignement battu dans des randoris avec des judokas titrés tels que Ivan Nifontov, Tagir Khaibulaev, Keiji Suzuki et bien d’autres athlètes de haut niveau.

 

 

En juin 1996, au camp d’entraînement international d’Antalya, dans la dernière ligne droite avant les Jeux olympiques d’Atlanta. À gauche : Colta Vasili (1946-2020, entraîneur). Allongés : Oleg Cretul et Andrei Golban (participant dans la catégorie des moins de 71 kg aux Jeux olympiques d’Atlanta, aujourd’hui président de la Fédération moldave de judo). Accroupis, de gauche à droite : Ion Golban (partenaire d’entraînement), le docteur Victor et Vitalie Gligor. ©Archives VG/JudoAKD

 

 

Quel est l’impact des tensions géopolitiques actuelles sur le judo paralympique moldave ? Il y a la guerre en Ukraine bien sûr, mais aussi les élections en Roumanie et la question d’une adhésion de ton pays à l’Union européenne…
Il ne fait aucun doute que la guerre en Ukraine a un impact important sur tout ce qui se passe en Moldavie. Nous voyons un grand nombre de réfugiés et nous nous rendons compte de tout le chagrin que la guerre apporte. Psychologiquement, vous êtes sous tension, car vous réalisez que vous pouvez devenir un réfugié aussi. Cela fait presque trois ans que je réfléchis, comme beaucoup de gens dans le pays, à comment et où emmener ma famille en cas de menace.

D’ailleurs, cela m’a aussi empêché de me concentrer sur la préparation de Paris. Chaque matin, loin de chez soi, la première chose que l’on fait est de lire les nouvelles et de prier pour la fin de la guerre… Cela a certainement un impact négatif sur l’économie moldave (qui est très, très faible) et, par conséquent, sur le financement du sport. Bien que le statut de candidate à l’Union européenne (comme l’est devenue la Moldavie) oblige à porter une attention particulière aux besoins des personnes en situation de handicap, et à créer des conditions propices à la pratique du sport en particulier. Nous voyons la volonté des autorités moldaves de résoudre ces problèmes, mais ces problèmes ne se résolvent pas seulement sur le plan financier. Il est nécessaire de changer la conscience des gens et de lutter contre la discrimination des athlètes en situation de handicap.

 

Par exemple ?

Je citerai plusieurs cas. En 2023, lorsque les parajudokas moldaves remportent le titre de champions d’Europe. C’est la première fois dans l’histoire du Comité paralympique moldave, tous sports confondus. En fin d’année, lors de la remise par la Mairie de Chisinau des prix aux meilleurs athlètes de l’année, le champion d’Europe de judo reçoit une prime de plus de cinq fois supérieure à celle du champion d’Europe de parajudo ! Pourquoi une telle discrimination ? Personne ne peut l’expliquer… Souvent les honneurs sont donnés aux olympiens en oubliant les paralympiens, comme s’ils étaient des personnes de seconde classe… C’est triste. Le Comité paralympique après ce fait – et beaucoup d’autres -, a déclaré, lors de l’Assemblée générale suivante, l’année 2024 « Année de la lutte contre la discrimination dans le sport » ! Et aujourd’hui encore, nous continuons à nous exprimer dans les médias et à souligner les faits de discrimination contre les athlètes paralympiques.

 

 

Adolescent, « autour de 1987 ou 1988. » ©Archives Vitalie Gligor/JudoAKD

 

Nous sommes à présent en juin 2025. Comment les choses se présentent-elles pour toi, en ce début de nouveau cycle paralympique ?

Après les Jeux de Paris, compte tenu de nos médailles de bronze et d’argent, nous avons accordé de nombreuses interviews en Moldavie, participé à pas mal de réunions officielles et assisté à divers événements. Naturellement, tout ceci a eu un impact sur le processus d’entraînement. Après un marathon de trois ans comprenant la préparation mais aussi la participation aux Jeux paralympiques, il est naturel de permettre aux athlètes de se reposer physiquement et psychologiquement. Cette période est aussi pour moi l’occasion de déterminer les candidats potentiels pour les prochains Jeux paralympiques, d’établir le calendrier de préparation pour 2025, mais aussi de réfléchir à la stratégie de développement jusqu’en 2028 de notre comité paralympique et de la Fédération moldave de parajudo.

 

Et concernant tes athlètes ?

Pour les athlètes, la période suivant les Jeux de Paris 2024 a été marquée par des opérations médicales, de la rééducation et le traitement d’anciennes blessures. L’année 2025 a commencé avec la participation au tournoi international d’Allemagne, au Grand Prix de Géorgie puis aux championnats du monde au Kazakhstan à la mi-mai. Ion Basok (+95 kg, J1) a remporté la deuxième place lors de cette compétition. C’est un résultat historique pour le Comité paralympique moldave ! De mon point de vue de président de la Fédération de parajudo, toute médaille remportée lors d’une grande compétition internationale est un grand succès. En tant qu’entraîneur principal, mon objectif est de remporter la médaille d’or du championnat du monde et celle des Jeux paralympiques. Tous les autres résultats ne sont que des étapes vers cet objectif.

 

Si le Vitalie de 2025 pouvait donner des conseils de vie à celui qui attachait sa première ceinture blanche en 1983, que lui dirait-il ?

Question difficile… N’ayez probablement jamais peur de vos désirs, car tout est possible dans la vie. Il suffit de réfléchir et de se rendre compte des sacrifices et des efforts qu’il faudra faire pour atteindre ce que l’on veut, et de se demander si on le veut vraiment. Formulez toujours clairement votre objectif et n’abandonnez pas en cours de route… Et surtout, entraînez votre patience, si tant est qu’il y en ait une [rires] ! Appréciez vos amis et apprenez à être un ami loyal. La vie elle-même vous apprendra à apprécier ces choses. – Propos recueillis par Anthony Diao, automne 2024 – été 2025. Photo d’ouverture : ©Facebook Oleg Cretul/JudoAKD.

 

 

 

Une version en anglais de cet article est disponible ici.

 

 

 

 

 

 

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